« Rêver un impossible rêve »1 : doit-on ainsi formuler la quête de la rose bleue ? Cette rose, symbole de l’inaccessible, n’existe pas à l’état naturel. Certes, prosaïquement, il est possible de teinter artificiellement une rose blanche coupée en ajoutant un colorant bleu dans l’eau du vase (Fig. 1). Mais que faire pour voir éclore une vraie rose bleue ? C’est le défi que des chercheurs australiens et japonais ont relevé grâce à des manipulations génétiques, sans toutefois atteindre l’objectif d’un bleu franc. Un chemin semé d’embûches… et d’épines.

Fig. 1. Rose bleue obtenue en colorant les pétales d’une rose blanche. Il suffit d’ajouter un colorant (encre bleue, colorant bleu alimentaire ou bleu de méthylène) dans l’eau des fleurs. Crédit : Noumenon/Wikimedia commons

Bien des fleurs naturelles sont bleues. Pourquoi pas la rose ?

À première vue, le manque de roses naturelles réellement bleues est surprenant au regard de toutes les fleurs bleues : bleuet, pétunia, pensée, pied d’alouette, hortensia, myosotis, etc. Quant aux tentatives de « mariages » (hybridations) pour créer des roses bleues, elles ont toutes échoué. Certes, les noms de baptême de roses incluant le mot bleu ne manquent pas : Blue Parfum, Nil bleu, Rhapsody in blue, Shoking Blue… Mais ce mot relève davantage du rêve des concepteurs que de la réalité, car les teintes vont du mauve au violet. Il n’en est pas moins vrai que ces roses sont magnifiques.

Si la quête de la rose bleue est vaine, c’est simplement parce que la rose ne possède pas de gène lui permettant de produire un pigment bleu du type anthocyanidine2 tel que la cyanidine présente dans le bleuet, ou bien la delphinidine que l’on trouve dans le pied d’alouette (delphinium) ou l’hortensia. Alors, pour réaliser l’impossible rêve, doit-on avoir recours au génie génétique ?

Le génie génétique à l’œuvre

Pour pallier l’absence de gène dont l’expression conduit à un pigment bleu, l’idée est de transférer le gène de la delphinidine dans l’ADN d’une rose. Mais cela ne suffit pas, comme nous allons le voir.

Des recherches amorcées en 1987, et menées dans le cadre d’un partenariat entre la société australienne Florigene et la société japonaise Suntory, ont conduit en 2004 à la première vraie rose dont la couleur s’approchait du bleu. Elle ne sera commercialisée qu’en 2009 sous le nom de ‘Applause’ (Fig. 2). Pourquoi a-t-il fallu autant de temps en investissant des sommes aussi considérables (des dizaines de millions de dollars) pour aboutir in fine à un résultat quelque peu décevant puisque la couleur de la rose génétiquement modifiée est d’un bleu très violacé ? Pour le comprendre, regardons de plus près comment les chercheurs ont mis en œuvre le génie génétique, en nous limitant aux grandes étapes.3

Fig. 2. La rose ‘Applause’ commercialisée par la société japonaise Suntory. Crédit : Suntory flowers (reproduction avec autorisation)

Tout d’abord, il faut empêcher la production de pigment rouge (qui est naturellement présent dans la rose) en bloquant la biosynthèse de l’enzyme impliquée dans cette production. Puis on doit rendre possible la production du pigment bleu en insérant dans l’ADN de la rose un gène qui code pour un pigment bleu : le choix s’est porté sur celui de la delphinidine, présente dans la pensée Viola tricolor hortensis. Ensuite, il est nécessaire de rendre effective la production du pigment : dans ce but, les chercheurs ont inséré un gène d’iris qui code pour une enzyme permettant cette production. Enfin, il s’est avéré indispensable de modifier le code génétique de sorte que le pH du milieu cellulaire soit tel que la couleur du pigment reste bleue et ne vire pas au rouge. En effet, la delphinidine est bleue en milieu alcalin et rouge en milieu acide.

In fine, malgré l’optimisation de toutes les étapes, la rose obtenue reste d’un bleu violacé. Les recherches continuent pour se rapprocher toujours davantage d’une rose d’un bleu profond dont les chercheurs et bien d’autres rêvent depuis le début de cette longue aventure.

Références et notes

1Ainsi débute la chanson de Jacques Brel « La quête » (L’Homme de la Mancha).

2Les couleurs rouge, rose, bleu, violet, ou pourpre des fleurs et des fruits rouges sont dues à des anthocyanes (du grec anthos« fleur » et kuanos« bleu ») qui sont constituées d’un pigment (une anthocyanidine), lié à un ou deux sucres (forme hétérosidique).Voir : B. Valeur et É. Bardez, La lumière et la vie. Une subtile alchimie, Belin (2015).

3J.-C Brodbeck, J. Mouchotte , « Rose bleue, rose maudite », Jardins de France, n° 651, Sep-nov. 2018 (consultable ici).

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