Les couleurs du monde sont dues principalement à des matières colorantes naturelles ou synthétiques : les pigments et les colorants. Présents dans les peintures, les textiles, les plastiques, les encres, les cosmétiques, l’alimentation, etc., ils ont de tout temps fait l’objet de recherches pour étendre le choix des nuances, réduire les coûts de production, et améliorer leurs propriétés (pouvoir couvrant, stabilité dans le temps et à la lumière, innocuité…). Le numéro thématique de L’Actualité chimique d’octobre-novembre 2019 consacre une large part à des recherches actuelles relevant de ce domaine.1 Une bonne occasion de revenir sur la différence entre pigments et colorants, question fréquemment posée et qui mérite qu’on s’y attarde car les réponses que l’on trouve sur la toile sont souvent incomplètes ou imprécises, voire erronées.

Une distinction fondée sur la solubilité… mais pas seulement
Il est d’usage de distinguer les pigments et les colorants par leur solubilité : un pigment est une substance colorée insoluble dans le milieu où elle est dispersée, tandis qu’un colorant est soluble dans le milieu qu’il colore (Fig. 1). En effet, un colorant est le plus souvent employé pour teindre des tissus (ou d’autres substrats tels que le papier ou le cuir). Il doit être soluble dans le bain de teinture pour que, dans certaines conditions, il puisse se fixer sur les fibres textiles selon divers procédés (mordançage, emploi de colorants de cuve ou de colorants réactifs). Quant aux pigments, étant sous forme de poudre insoluble, leur application sur un support nécessite qu’on les disperse au préalable dans un liant tel que l’huile (peinture à l’huile) ou des résines acryliques (peinture à l’eau). On parle donc en général de colorants pour la teinture, et de pigments pour la peinture. Mais il ne faut évidemment pas se limiter à ces domaines d’applications.
Outre la solubilité, d’autres différences doivent être mentionnées. Tout d’abord, les pigments sont essentiellement des composés inorganiques et les colorants, beaucoup plus nombreux que les pigments, sont organiques (parfois organométalliques). C’est pourquoi les colorants sont en règle générale plus fragiles que les pigments, et se dégradent plus facilement sous l’action de la lumière (rupture de liaisons chimiques). En outre, l’influence du milieu sur la couleur est le plus souvent négligeable pour les pigments alors qu’elle est parfois très importante pour les colorants (influence du pH par exemple). Ce dernier point mérite d’être précisé dans les définitions que voici :
– Les pigments sont des composés le plus souvent inorganiques, naturels ou synthétiques, insolubles dans le milieu où ils sont dispersés. Ils confèrent une couleur qui n’est pas ou peu affectée par ce milieu.
– Les colorants sont des composés organiques, naturels ou synthétiques, solubles dans le milieu qu’ils colorent. Ils sont employés en solution (souvent aqueuse). La couleur qu’ils confèrent peut être affectée par la nature physicochimique du solvant et éventuellement par celle du support sur lequel ils sont appliqués.
Une base de données incontournable : le Colour index
Comment les industriels font-ils leur choix parmi les dizaines de milliers de composés disponibles sur le marché ? Ils consultent le Colour Index (CI)2, une base de données qui comporte environ 13 000 noms génériques donnant lieu à près de 45 000 dénominations commerciales ! Cette base est constamment mise à jour par ses concepteurs : deux associations de chimistes (The Society of Dyers and Colourists (anglaise) et l’American Association of Textile Chemists and Colorists). Chaque composé est affecté d’un numéro d’identification à cinq chiffres (CI number). En outre, un nom générique plus explicite précise la couleur avec un numéro relatif à la structure chimique. Par exemple, le composé C.I. 11227, utilisé pour la coloration des plastiques, a pour nom générique C.I. Disperse Orange 25, le nombre 25 indiquant qu’il fait partie des composés azoïques (Fig. 2).

Force est de constater que dans le Colour index, un composé n’est pas désigné en tant que colorant ou pigment. Il existe pourtant en Anglais deux mots différents : dyes et pigments (d’ailleurs un journal scientifique a pour nom Dyes and Pigments). Alors pourquoi cette absence de mention de l’une de ces appellations ? C’est très probablement parce qu’un même composé peut jouer le rôle de colorant ou de pigment selon la façon dont il est utilisé. Voyons des exemples.
Une distinction en fait difficile
Des composés colorés solubles dans certains solvants, donc des colorants utilisés dissous, sont insolubles dans certains polymères et se comportent donc comme des pigments pour la coloration des plastiques. Parfois, un colorant organique est fixé sur une poudre minérale blanche (souvent l’alumine) pour le rendre insoluble et obtenir ainsi un pigment portant le nom de pigment laqué. La laque de garance et le carmin de cochenille en sont des exemples bien connus. Ces situations montrent la difficulté à qualifier un composé de colorant ou de pigment de façon définitive.
Voyons maintenant ce que dit le très officiel Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL)3, créé en 2005 par le CNRS. Les définitions qu’il propose n’apportent guère d’éclaircissements. Voici celle d’un pigment : « Toute substance colorée quelle qu’en soit l’origine, la structure et la nature ». Alors, un colorant serait-il un cas particulier de pigment ? Toutefois, une définition spécifique est donnée pour un colorant : « Substance généralement colorée, capable de se fixer sur un support et de lui communiquer une coloration durable ». Mais in fine, pigments et colorants sont toujours fixés sur un support (quand ils colorent des phases solides) !
Bref, il paraît sage de s’en tenir aux propositions données plus haut en gras.
Références
1Numéro thématique « Pigments et colorants », L’Actualité chimique, n° 444-445, octobre-novembre 2019, pp. 13-59.
2Colour Index, Technical info
3Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) : Pigment, Colorant
Pour en savoir plus sur les pigments et les colorants :
D. Cardon, Le monde des teintures naturelles, Belin, 2014.
F. Delamare, B. Guineau, Les matériaux de la couleur, Découvertes Gallimard, 1999.
F. Perego, Dictionnaire des matériaux du peintre, Belin, 2005.
B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats, Belin, 2011 ; Lumière et luminescence, Belin, 2017 (2e éd.).
B. Valeur, « La chimie crée sa couleur… sur la palette du peintre », In : La chimie et l’art, EDP Sciences, 2010, pp. 129-167. Consultable ici.