Peut-être n’aimez-vous pas la couleur de vos yeux et rêvez-vous qu’ils deviennent définitivement bleu azur, ou vert émeraude, ou bien dorés… Trois techniques permettent de modifier la couleur des yeux mais deux d’entre elles sont interdites en France : la dépigmentation de l’iris par laser, et l’insertion d’un implant coloré. La troisième est le tatouage cornéen (kératopigmentation) qui fait débat. Examinons ces trois techniques de façon objective, c’est-à-dire à la lumière des avis de médecins ophtalmologistes n’ayant aucun intérêt financier dans ces actes médicaux.
La dépigmentation par laser : à proscrire !
L’iris de l’œil est d’un marron d’autant plus foncé qu’il contient une concentration élevée en pigment de type mélanine : l’eumélanine.1 En absence de ce pigment, l’œil est d’une couleur bleue, de type structural car elle résulte de la diffusion de la lumière.1 Pour faire passer la couleur des yeux du marron au bleu (ce qui est le plus souvent souhaité), l’idée est donc venue d’éliminer la couche superficielle de pigment recouvrant l’iris à l’aide d’un faisceau laser. C’est la technique proposée par la société américaine Stromamedical. Le laser employé est du type Yag2, qui sert par ailleurs couramment en ophtalmologie.
Qu’en pense l’ophtalmologue Marc Timsit ? Dans une interview réalisée en 2015,3 il explique que le problème est l’élimination du pigment libéré qui risque de boucher le trabéculum, un filtre permettant l’évacuation de l’humeur aqueuse hors de l’œil. Conséquence : l’accumulation de pigment fait augmenter progressivement la tension oculaire, provoquant ainsi un glaucome chronique4. Dans le pire des cas, on peut même observer un glaucome aigu dû à une augmentation brutale de la tension oculaire, ce qui peut conduire à une cécité irréversible en quelques heures. En conclusion, cette technique est dangereuse. C’est pourquoi elle est interdite en France.
L’insertion d’un implant coloré : à éviter !
Une société américaine a mis au point des iris artificiels : ce sont des implants minces, flexibles et colorés en silicone. Ce procédé américain, dénommé Brightocular, présente de gros risques décrits par l’ophtalmologue Damien Gatinel5 : « Dans un nombre important de cas documentés, cette implantation a occasionné des dégâts irréparables (glaucome sévère induisant une cécité légale6 dans certains cas). Les autres complications, qui paraissent inéluctables après un certain délai, associent uvéite chronique (frottements entre l’iris et l’implant), et la perte en cellules endothéliales (cellules situées à la face postérieure de la cornée) ». On comprend alors l’interdiction de cette technique en France.
Le tatouage cornéen (kératopigmentation) : peut-être ?
La troisième possibilité est le tatouage de la cornée. Il était déjà pratiqué dans l’Antiquité par les romains et les grecs, puis il a fallu attendre le XIXe siècle pour que ce procédé soit à nouveau décrit et fasse l’objet d’améliorations successives jusqu’à nos jours.7 Cette technique est utilisée en médecine à des fins esthétiques (pour améliorer l’apparence d’un œil défiguré par une pathologie oculaire ou un traumatisme) ou à des fins thérapeutiques (pour traiter les symptômes visuels invalidants dus à des défauts de l’iris).
D’une façon générale, le tatouage de la cornée, ou kératopigmentation, consiste à créer une multitude de microtrous dans les couches superficielles de la cornée afin d’introduire un colorant. Il n’y a donc pas d’altération de l’iris. En outre, les colorants sont agréés pour une utilisation dans la cornée, contrairement aux colorants employés pour le tatouage de la peau qui ne sont pas soumis à une réglementation.8
La technique la plus récente de kératopigmentation a été mise au point en 2009.9 Elle met en œuvre un laser femtoseconde10 pour percer des microtunnels, ce qui présente de nombreux avantages : conception personnalisée, rapidité, diminution de la douleur, risque réduit de perforation, bonne cicatrisation.
C’est en 2013 que l’ophtalmologue Francis Ferrari11 a commencé à utiliser cette technique – qu’il dénomme « kératopigmentation annulaire esthétique » – pour changer la couleur des yeux à des fins exclusivement esthétiques. Qu’en pense Laurent Kodjikian, président de la Société française d’ophtalmologie ? Lors d’un entretien qu’il a accordé à des journalistes de la chaîne de télévision France 2,12 il a émis des réserves : « On aura des difficultés à examiner l’ensemble de la rétine au fond de l’œil et donc potentiellement, un jour, à guérir un décollement de rétine. Cela peut également compliquer une future chirurgie de la cataracte. Cette technique n’est pas sans risque puisqu’il y a notamment un risque d’abcès de la cornée, potentiellement de cécité ».
Cependant, le Dr. Francis Ferrari a réalisé depuis 2013 plus de 300 interventions de ce type, et aucune plainte n’a été déposée. Alors, si vous tenez absolument à modifier la couleur de vos yeux, vous pouvez choisir cette technique, mais il vous en coûtera plus de 7000 euros ! Et en cas de regret, vous n’aurez que vos yeux pour pleurer car le procédé est irréversible.
Et les lentilles de contact cosmétiques ?
Pour changer la couleur de l’iris, le port de lentilles de contact colorées et de fantaisie est de loin la solution la plus économique et la moins risquée. On en trouve de toutes les couleurs, y compris fluos ! Ces lentilles cosmétiques en vente libre sont-elles sans risque ? Contrairement aux lentilles correctrices, elles ne sont pas considérées comme des dispositifs médicaux qui, eux, sont soumis à un contrôle strict. Or, qu’elles soient correctrices ou cosmétiques, toute lentille de contact est susceptible de provoquer une irritation et il y a un risque non nul d’infection. C’est pourquoi l’ophtalmologue Damien Gatinel précise que ces lentilles « ne doivent être posées que sous contrôle médical, et en respectant des règles d’utilisation et d’entretien très strictes ».5
Des résultats jugés souvent décevants
L’aspect esthétique de l’iris, après un changement de coloration, est souvent jugé décevant, quelle que soit la méthode employée. Tout particulièrement pour la couleur bleue qui, pour l’iris, est au naturel de type structural et non pas pigmentaire.
En fait, la couleur de l’iris est-elle si importante ? Ce qui compte avant tout, n’est-ce pas le regard ? L’arme de séduction, le « miroir de l’âme », le reflet des émotions…, c’est le regard, auquel participe l’ensemble du visage, la couleur de l’iris n’étant qu’un des éléments de séduction. Ainsi, quelle que soit la couleur des yeux, un regard peut être séducteur ou sans attrait, doux ou dur, avenant ou rebutant, intelligent ou niais… Et la modification d’un regard ne relève pas de la chirurgie esthétique !
Références et notes
1Billet du 09.12.2018, « L’iris des yeux : de la séduction à la biométrie »
2S. Mordon, « Les lasers en médecine », Reflets de la physique, n° 21, pp. 65-69. Consultable ici.
3« Avoir définitivement les yeux bleus grâce à une opération au laser à 5000 dollars, ça marche vraiment ? ». Interview consultable ici.
4Le glaucome chronique est l’atrophie progressive du nerf optique. C’est l’une des premières causes de cécité.
6La cécité légale est définie par une acuité visuelle inférieure à 1/20 pour le meilleur œil après correction.
7« Tatouage de la cornée ». Article dans Wikipedia
8 Billet du 25.11.2018, « Les tatouages : méfiance avec les couleurs ! »
9J.-H. Kim et al. « New surgical strategy for corneal tattooing using a femtosecond laser », Cornea, vol. 28(1), pp. 80-84, 2009.
10« Le laser femtoseconde en ophtalmologie », Le site des ophtalmologistes de France
11F. Ferrari, L. Morin, « Description d’une nouvelle méthode pour changer la couleur des yeux. À propos d’un cas de kératopigmentation annulaire esthétique (KAE) », Journal Français d’ophtalmologie, vol. 38(1), p. e3, 2013. Article consultable ici.
12Reportage diffusé lors du journal télévisé de France 2 le 12 janvier 2020. Replay ici (35 min 30 s après le début du journal).
Article, clair, concis et toujours passionnant. Ce que j’apprécie beaucoup c’est aussi cette bibliographie proposée qui permet aux curieux d’approfondir s’ils le désirent. En tout cas merci pour cette publication. Je consulte désormais , régulièrement votre blog. Le partage des connaissances , je suis pour : j’ai été enseignante.
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Merci pour ces compliments auxquels je suis très sensible.
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