L’eucalyptus arc-en-ciel figure parmi les arbres les plus beaux et les plus insolites de la planète. En apercevant son tronc multicolore, on se demande : « Qui a peint cet arbre ? » (Fig. 1). On dirait en effet une peinture abstraite aux couleurs chatoyantes. De près, on observe des lambeaux d’écorce de diverses couleurs (vert, bleu, violet, orange, rouge-brun, brun) qui se détachent de l’arbre (Fig. 2). Cet aspect insolite intrigue nombre d’internautes qui partagent avec enthousiasme des photos de cet arbre hors du commun. Mais quelle est l’origine des couleurs et de leurs variations au cours du temps ? Tentons de répondre à cette question quasiment jamais abordée.

Fig. 1. Des eucalyptus arc-en-ciel à Hawaii. Crédit : Amelia/ Wikimedia Commons
Fig. 2. Tronc d’un eucalyptus arc-en-ciel vu de près. La pluie ayant humidifié l’écorce, les couleurs apparaissent plus saturées que de coutume. Crédit : Christopher Martin (avec son aimable autorisation)

Un peu de géographie

L’eucalyptus arc-en-ciel est le seul arbre au monde à présenter un tronc multicolore. Il provient de l’île de Mindanao, aux Philippines. C’est l’une des quatre espèces d’eucalyptus (sur plus de 800) qui n’est pas originaire d’Australie. Il s’est ensuite répandu dans d’autres régions : Nouvelle Guinée, Indonésie, Hawaï, Polynésie française… Cet arbre, qui pousse au mieux dans les régions tropicales humides, peut atteindre 75 m de haut avec une vitesse de croissance de 3 m par an ! Il est désormais cultivé un peu partout dans le monde pour son aspect décoratif mais aussi pour produire de la pâte à papier.

À la recherche d’une explication

L’écorce de l’eucalyptus arc-en-ciel (Eucalyptus Deglupta) se détache en lambeaux longs et fins (degluptere signifie « peler » en latin) ; les lambeaux les plus anciens tombent en premier en laissant apparaître les plus jeunes. Ce processus s’accompagne d’une évolution de la couleur apparente des diverses parties de l’écorce au cours du temps : initialement vert pâle, elle devient vert foncé, puis bleu, violet, orange et enfin brun. Il va de soi que la couleur verte initiale est due aux chlorophylles comme chez tous les végétaux verts, mais qu’en est-il de l’apparition des autres couleurs ?

David Lee, professeur émérite de botanique à l’Université de Floride, a été sollicité sur ce sujet par Andrew Han qui a résumé ses propos dans un article paru dans Science Friday.1 Après avoir indiqué que peu de recherches ont été menées sur ce sujet, David Lee2 a apporté quelques éléments de réponse. Sur un eucalyptus arc-en-ciel en pleine croissance, la division des cellules du cambium3 – semblable à celle des cellules souches chez les animaux – produit une succession de fines écorces, chacune épaisse de plusieurs dizaines de cellules. Selon Lee, chaque couche d’écorce présente une surface transparente d’une seule cellule d’épaisseur, laissant apparaître le tissu sous-jacent rempli de chlorophylles de couleur verte. Au fil du temps, la concentration en chlorophylles dans ce tissu diminue, et la surface transparente laisse alors percevoir la couleur brun-rougeâtre des tanins sous-jacents.1 Et les autres couleurs alors ?

Une exceptionnelle variété de pigments

Les chlorophylles, les flavonoïdes, les caroténoïdes, et dans une moindre mesure les tanins, sont les principales sources de couleur chez les végétaux.4 Qu’en est-il en particulier de l’écorce de l’eucalyptus arc-en-ciel ?

• Sa couleur verte ne peut provenir que des chlorophylles.

Ses couleurs brun-rouge et brun proviennent vraisemblablement de tanins5. Ces derniers ont des teintes ocre, jaune, brun, peu intenses mais qui peuvent d’accentuer par oxydation au contact de l’air. En outre, les tanins contenus dans les vacuoles des cellules végétales réagissent avec les protéines cytosoliques, ce qui conduit à un brunissement (bien connu pour les fruits).

Seules les anthocyanes (sous-famille des flavonoïdes) peuvent lui conférer des couleurs bleu et violet.4,6

Sa couleur orange peut être due soit à un caroténoïde, soit à la coexistence d’un flavonoïde jaune et d’un flavonoïde rouge. Une analyse chimique de prélèvements serait nécessaire pour déterminer l’origine exacte de la couleur orange.

Un eucalyptus arc-en-ciel dans votre jardin ?

Avoir un tel arbre dans son jardin, quel rêve ! Le problème est qu’il est très difficile à cultiver sous nos latitudes. Il aime la chaleur et l’humidité, et il ne supporte pas des températures négatives. Des graines sont disponibles à la vente et vous pouvez donc tenter l’expérience en prenant toutes les précautions possibles… mais il faut que vous ayez la main particulièrement verte !

Références et notes

1A. P. Han, « Rainbow in a tree », Science Friday, 6 nov. 2013. Article consultable ici.

2David Lee est l’auteur d’un livre très complet sur les couleurs des végétaux : Nature’s palette. The science of plant color, The University of Chicago Press, 2007.

3Le cambium est le tissu responsable de la formation du bois. Appelé « seconde écorce » ou « « écorce intérieure », il est constitué d’une fine couche de cellules indifférenciées pouvant toutes se diviser. Voir la description dans Wikipedia.

4B. Valeur, É. Bardez, La lumière et la vie. Une subtile alchimie, Belin (2015).

5Le terme « polyphénols » a été introduit en 1980 en remplacement de l’ancienne dénomination générale de « tanin végétal » (voir notamment l’article « Polyphénols » sur le site de la Société chimique de France, consultable ici). Il est désormais couramment admis que les tanins ne constituent qu’une sous-famille des polyphénols (voir leur description dans l’article « Tanin » dans Wikipedia). Il est donc quelque peu surprenant qu’un ouvrage sur les tanins, publié en 2019, emploie l’ancienne définition de ce terme : M.-A. Selosse, Les goûts et les couleurs du monde. Une histoire naturelle des tannins, de l’écologie à la santé, Actes Sud, 2019.

6Billet du 25.06.2019, « Manger coloré, c’est bon pour la santé ».

Publicité