Le confinement n’est pas seulement efficace pour se protéger des virus. Il permet également à des colorants organiques emprisonnés de résister aux affres du temps. C’est le cas de l’indigo lorsqu’il s’est trouvé piégé pendant des siècles dans les canaux d’une argile. Telle est la raison de l’extraordinaire stabilité du bleu Maya. S’il a fallu attendre les années 1960 pour que les scientifiques le comprennent, c’est parce que la stabilité a pour conséquence de rendre difficile l’analyse chimique : l’attaque des solvants, des acides et des bases n’affecte pas le pigment, qui en outre résiste à des températures aussi élevées que 3000 °C ! Il faut donc avoir recours à des techniques spectroscopiques pour élucider la composition chimique. La question du mode de préparation se pose également.

Fig. 1. Peinture murale sur l’ancien site Maya de Bonampak (état du Chipas au Mexique). Le fond est peint avec du bleu Maya. Crédit : Ricardo David Sanchez / Commons Wikimedia

Un peu d’histoire

Le bleu Maya symbolise la civilisation florissante qui s’est établie dans la Mésoamérique1 entre le IIIe et le Xe siècle. Ce pigment2 servait à peindre des fresques (Fig. 1) et à décorer des poteries, des statues, des masques, etc. Les couleurs ont traversé les siècles en conservant tout leur éclat. Par ailleurs, d’après des textes datant du XVIe siècle, des victimes sacrificielles étaient recouvertes de bleu Maya. La preuve : on a découvert en 1904, au fond d’un cénote (gouffre naturel rempli d’eau), une épaisse couche de boue bleue provenant d’une centaine de corps humains sacrifiés en offrande au dieu de la pluie, Chaak. D’autres offrandes peintes en bleu ont également été retrouvées dans ce cénote. Lorsqu’en période de sécheresse la pluie tardait à venir, une cérémonie était organisée pour satisfaire le dieu Chaak avec l’espoir qu’il couvrirait le ciel de nuages noirs apportant la pluie.3

Un matériau hybride comportant trois ingrédients

Quelle est précisément la composition chimique du bleu Maya ? Des techniques spectroscopiques ont permis d’établir que ce pigment est constitué de trois ingrédients : un colorant végétal, une argile et une résine.3,4 Le colorant est l’indigo, extrait des feuilles de la plante Indigofera suffruticosa. L’argile utilisée est la palygorskite : il s’agit d’un silicate de magnésium et d’aluminium peu courant qui, à la différence de la plupart des argiles, possède des canaux dans lesquels peuvent s’insérer des molécules d’indigo. Au Mexique, cette argile est extraite des sols du royaume Maya : divers gisements ont en effet été répertoriés dans la péninsule du Yucatán. Le troisième ingrédient est la résine de copal (utilisée comme encens lors de rituels religieux) qui donne de l’ambre en durcissant. Le bleu Maya est donc un précurseur des matériaux que l’on dénomme aujourd’hui hybrides, c’est-à-dire constitués de composés organiques et inorganiques. Ces derniers sont de plus en plus utilisés dans les hautes technologies.

Comment le bleu Maya était-il préparé ?

En portant le mélange des trois ingrédients, décrits ci-dessus, à des températures comprises entre 120 et 180 °C environ, les molécules d’indigo peuvent s’insérer dans les canaux de la palygorskite. Cependant, il n’a pas été possible d’identifier formellement les étapes du procédé historique employé pour préparer le bleu Maya. Selon le lieu et l’époque, il est vraisemblable que différentes techniques de préparation aient été mises en œuvre.5

Des essais en laboratoire ont montré que deux familles de procédés sont historiquement plausibles :

  • La voie sèche : un mélange d’extrait d’indigo solide et d’argile est broyé puis chauffé modérément.
  • La voie humide : de l’argile est ajouté à une décoction de feuilles d’indigo ; après retrait de ces feuilles, la solution est oxygénée par agitation puis filtrée pour récupérer la partie solide qui est ensuite chauffée.

Dans les deux procédés, le chauffage est important car il permet de stabiliser le pigment.

De subtiles nuances de couleurs

D’une façon générale, la matière colorante extraite des plantes à indigo6 n’est pas constituée d’un colorant unique mais d’un mélange. Le colorant bleu majoritaire est l’indigotine (que l’on dénomme indigo par abus de langage). Il est obtenu à partir de l’indican, précurseur incolore de la plante, à qui l’on fait subir une série de réactions aboutissant à l’indigotine, composé insoluble. Ce dernier peut générer d’autres composés lors de sa mise œuvre pour teindre un tissu ou préparer un pigment pour la décoration. Ces composés sont le déhydroindigo (jaune), le leuco-indigo (jaune), l’indirubine (rouge).7 Les proportions finales de ces composés, et donc la couleur, dépend du mode de préparation.

Qu’en est-il du bleu Maya dont la couleur lumineuse a attiré l’attention de nombreux archéologues et chercheurs ? Cette couleur caractéristique présente des nuances qui vont du bleu turquoise à un bleu tirant nettement sur le vert.4 D’où viennent ces nuances ?

Les analyses de divers prélèvements révèlent que les Mayas adaptaient leurs procédés pour obtenir la nuance désirée. En particulier, l’étape de cuisson est primordiale car c’est à ce stade que se forme le déhydroindigo (jaune). En outre, le milieu dans lequel sont insérées les molécules de colorant influe aussi sur la couleur. Le spectre d’absorption des molécules d’indigotine est en effet modifié lors de cette insertion.8 La couleur de l’indigotine, qui est bleue en poudre, devient ainsi bleu turquoise.

D’une façon générale, le confinement a du bon !

L’incroyable stabilité du bleu Maya s’explique par le confinement des molécules d’indigo au sein de l’argile. Sans ce procédé, le climat subtropical des régions de production et d’utilisation n’aurait pas permis la conservation de composés organiques, comme l’indigo, pendant une durée aussi longue.

Une telle longévité n’a pas manqué d’inspirer les chercheurs. Par exemple, le rouge de méthyle, lorsqu’il est adsorbé sur la palygorskite, devient beaucoup stable.9 Plusieurs variantes sont possibles pour empêcher toute interaction du colorant avec le milieu extérieur. Une des méthodes efficaces, publiée en décembre 2019, consiste à enrober un mélange d’argile tubulaire et de molécules de colorant avec une couche hydrophobe (c’est-à-dire qui repousse l’eau) constituée de polyorganosilanes.10

Morale de l’histoire : le confinement est gage de longévité… en toute circonstance.

Références et notes

1La Mésoamérique s’étend du nord du Mexique au Costa Rica, et inclut le Belize, le Guatemala, l’ouest du Honduras, le Salvador et le versant pacifique du Nicaragua. À ne pas confondre avec l’Amérique centrale.

2« Pigments et colorants : une distinction plus subtile qu’il n’y paraît », billet du 13.12.2019

3A. Fenster, « The mystery of Maya blue finally solved », Office for science and society, 2017. Article consultable ici.

4M. Sanchez del Rio et al., «The Maya Blue pigment », In : Developments in Palygorskite-Sepiolite Research, Volume 3 : A New Outlook on these Nanomaterials, Elsevier, 2011, chapitre 18. Texte consultable ici.

5A. Doménech et al., « Chemometric study of Maya Blue from the voltammetry of microparticles approach », Analytical Chemistry vol. 79(7), pp. 2812–2821, 2007.

6D. Cardon, Le monde des teintures naturelles, Belin, 2014, chapitre 8.

7Formules de l’indican, de l’indigotine et de ses dérivés :

8La nature de l’association entre les molécules de colorant et la palygorskite fait l’objet de controverses. Il s’agit probablement d’une interaction entre le colorant et les groupes Si–OH à la surface de l’argile. Voir la référence 4.

9R. Giustetto, O. Wahyudi, « Sorption of red dyes on palygorskite : synthesis and stability of red/purple Mayan nanocomposites », Microporous and Mesoporous Materials vol. 142, pp. 221–235, 2011.

10G. Zhuang et al., « A new durable pigment with hydrophobic surface based on natural nanotubes and indigo : interactions and stability », Journal of Colloid and Interface Science vol. 552, pp. 201-217, 2019.