Sur Mars, les robots réalisent de nombreuses photographies du sol et du ciel qui sont abondamment diffusées par internet. Cependant méfiez-vous de leurs couleurs car pour restituer celles que verrait un être humain, une correction des images s’impose mais elle n’est pas toujours effectuée. Après une telle correction, il ne fait pas de doute que le ciel martien que nous verrions sur place est d’une couleur jaune-brun dans la journée, et bleutée lorsque le Soleil s’approche de l’horizon (Fig. 1). Surprenant n’est-ce pas, car c’est le contraire de ce que l’on observe sur Terre où le ciel est bleu dans la journée et souvent jaune, orangé, voire rouge, au coucher et au lever du Soleil. La différence entre les compositions des atmosphères de la Terre et de Mars est à l’origine de ce paradoxe. En effet la lumière venant de l’étoile commune aux deux planètes, le Soleil, n’est pas modifiée de la même façon par leurs atmosphères.

L’atmosphère de Mars : dominée par les poussières
L’atmosphère de Mars est dominée par la présence de poussières à base de feldspath et/ou de zéolite avec des quantités moindres d’olivine, de pyroxène, d’oxydes de fer (hématite, magnétite…), etc.1 Le vent est responsable pour une bonne part du maintien de ces poussières dans l’atmosphère, d’autant que la gravité de surface sur Mars est seulement 38 % de celle de la Terre.
La présence d’hématite explique pour une bonne part la couleur rougeâtre du sol d’où le surnom bien connu de planète rouge donné à Mars. En effet, cet oxyde de fer(III) (Fe2O3) absorbe la lumière dans le bleu et jusqu’à une longueur d’onde d’environ 600 nm, d’où sa couleur rougeâtre.
Dans la journée, la lumière blanche venant du Soleil est modifiée lors de la traversée de l’atmosphère poussiéreuse : le ciel prend une couleur jaune-brun dont la clarté dépend de la densité de poussières en suspension dans l’atmosphère (Fig. 1A). Le ciel peut devenir brun foncé lors de tempêtes de poussières.
Notons au passage que la couleur ocre du ciel observée dans la moitié sud de la France le 6 février 2021 avait une origine semblable : la présence de poussières sableuses (contenant des oxydes de fer) en provenance du Sahara, portées en altitude par un puissant vent du sud.
Sur Mars, l’absorption partielle de la lumière par les poussières n’est pas le seul phénomène qui influe sur la couleur du ciel. La diffusion de la lumière par ces poussières joue également un rôle important : ces dernières dévient la lumière, et plus précisément, la renvoient dans toutes les directions avec une efficacité qui dépend de l’angle et de la longueur d’onde. Nous reviendrons plus loin sur ce phénomène qui est à l’origine des couchers de Soleil bleutés.
Auparavant, précisons qu’indépendamment des poussières, l’atmosphère de Mars contient principalement du dioxyde carbone gazeux (96 %)2 et que sa densité est 80 fois plus faible que celle de l’atmosphère terrestre (qui, rappelons-le, contient grosso-modo 4/5 de diazote et 1/5 de dioxygène en volume, les autres gaz étant en faible quantité ou à l’état de trace).
Les molécules gazeuses ayant une dimension beaucoup plus faible que les longueurs d’onde de la lumière (0,4-0,7 micromètres), la théorie de Rayleigh montre qu’elles diffusent la lumière d’autant plus efficacement que la longueur d’onde est courte, c’est-à-dire davantage dans le bleu que dans le rouge.3 Cette diffusion Rayleigh explique pourquoi le ciel terrestre apparaît bleu à un observateur qui regarde le ciel (à l’écart de la direction du Soleil, bien sûr).4 Elle est en revanche négligeable sur Mars où une diffusion d’un autre type par les poussières l’emporte largement. De quelle façon cette dernière dépend-elle de la longueur d’onde et de l’angle de diffusion ?
Lumière sur les poussières de l’atmosphère martienne
Gustav Mie généralisa la théorie de Rayleigh en 1908. En particulier, il montra que pour des particules de taille très supérieure aux longueurs d’onde de la lumière, la composition de la lumière diffusée est peu différente de celle de la lumière incidente. C’est pourquoi les nuages du ciel terrestre – qui sont constitués de gouttelettes d’eau dont la taille moyenne est d’une dizaine de micromètres –, éclairés par la lumière blanche du Soleil, apparaissent blancs. 4
Sur Mars, la situation est beaucoup plus complexe car la taille moyenne des particules de poussières est l’ordre du micromètre, c’est-à-dire voisine des longueurs d’onde du spectre visible. En outre, les poussières contiennent de l’hématite qui absorbe la lumière jusqu’à 600 nm (voir ci-dessus) et dont l’indice de réfraction dépend de la longueur d’onde.
Kurt Ehlers et ses collègues (Nevada, USA) ont utilisé la théorie de Mie et les séries de Debye pour calculer l’intensitéde la lumière diffusée en fonction de l’angle dans le bleu (425 nm) et dans le rouge (694 nm) avec un modèle de poussières martiennes (assimilées à des sphères) contenant 3 % d’hématite.1 Ils ont ainsi révélé la clé de l’énigme : l’intensité de la lumière bleue dans un cône d’environ 10° autour de l’axe de propagation de la lumière solaire est supérieure à celle de la lumière rouge ; le rapport d’intensité est de 6,5 dans cet axe de propagation (Fig. 2). En dehors de ce cône, la prédominance de la lumière bleue diminue jusqu’à environ 28°. Pour des angles de diffusion plus grands, la présence d’hématite apporte une contribution significative : l’intensité de la lumière rouge devient supérieure celle de la lumière bleue, ce qui est en accord avec la teinte brunâtre (rouge très sombre) observée sur les bords de l’image de la figure 1. La diffusion vers l’avant est beaucoup plus importante que vers l’arrière (rétrodiffusion) : environ 1500 fois plus intense dans le bleu, et 100 fois plus intense dans le rouge. De plus, contrairement à ce qu’on observe vers l’avant, l’intensité de la rétrodiffusion est plus grande dans le rouge que dans le bleu (facteur 2,2). La figure 2 montre que, sans hématite, ce serait l’inverse, et Mars ne nous apparaîtrait pas telle que nous la voyons car la rétrodiffusion confèrerait une nuance bleutée à l’atmosphère. La différence entre la diffusion vers l’avant et la rétrodiffusion est clairement illustrée par le diagramme de diffusion présenté sur la figure 3.


En conclusion, la lueur bleue d’un coucher de Soleil sur Mars est produite par la lumière diffusée aux petits angles par les particules de poussières de taille micrométrique. Cette lueur bleue ne doit pas être considérée comme une caractéristique propre au lever ou au coucher du soleil. Elle accompagne le Soleil tout au long du jour martien. Elle est cependant plus intense au lever et au coucher du Soleil du fait de l’allongement du trajet de la lumière à travers l’atmosphère.
La contemplation d’un coucher de Soleil par un humain sur Mars doit être un moment magique. Un rêve qui deviendra réalité… mais dans combien de temps ?
Références et notes
1K. Ehlers et al., “Blue moons and Martian sunsets”, Applied Optics, vol. 53(9), pp. 1808-1819, 2014. https://doi.org/10.1364/AO.53.001808
2Atmosphère de Mars, Wikipedia.
3Lorsque la taille des particules est très inférieure aux longueurs d’onde λ de la lumière (c’est-à-dire inférieure à environ λ/10) – c’est le cas des molécules telles que le dioxygène, le diazote, le dioxyde de carbone –, Lord Rayleigh démontra en 1871 que l’intensité de la lumière diffusée est inversement proportionnelle à λ4. Le rapport des intensités est d’environ 7 entre les longueurs d’onde de 425 nanomètres (bleu) et 700 nanomètres (rouge).4
[Adaptation d’une figure de la réf. 4.]
4Voir par exemple : B. Valeur, Lumière et Luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin, 2017 (2e éd.).