« Ce que l’on recherche dans le vin : la beauté, la couleur, la culture, le plaisir et le rêve. » (G. Jacquenot). En particulier, la couleur est le principal atout de séduction de la robe d’un vin. Elle recèle de nombreux indices car la signature chromatique d’un vin est sous-tendue par nombre de facteurs. Le premier d’entre eux est le cépage car les pigments présents dans la peau des raisins se retrouvent à des degrés divers dans le vin.1 Mais bien d’autres facteurs induisent des nuances de couleur : le terroir (notion complexe qui ne se limite pas à la nature géologique du sol et sa ressource hydrique), la méthode de vinification, les conditions d’élevage, le vieillissement en cave, etc. (Fig.1). Examinons de plus près ces facteurs.

Du cépage au vin
Le premier article de cette série était consacré aux couleurs des baies de raisins dont les pigments se retrouvent dans le vin – en rappelant que les termes de couleurs adoptés par convention (noir, blanc, rouge, gris) sont très éloignés de ceux des couleurs perçues.1 Il est important de se souvenir qu’à l’exception de celle des cépages teinturiers, la pulpe d’un grain de raisin est quasiment incolore et que les pigments résident essentiellement dans la pellicule (peau). C’est pourquoi, la technique de vinification – avec un choix précis du temps de macération des pellicules de raisin avec le moût (jus de raisin) – conditionne en grande partie la couleur. La figure 2 montre les diverses sortes de vins obtenus selon le type de cépage (Fig. 2).

Les cépages noirs (à pellicule noire et pulpe blanche) donnent des vins rouges dont la couleur provient principalement des anthocyanes1 extraits des pellicules en même temps que les tanins lors de la macération du moût avec ces dernières, en cuve de fermentation. L’abondance d’anthocyanes et leurs proportions relatives sont d’origine génétique.1 Par exemple, la pellicule du pinot noir ou du grenache contient davantage d’anthocyanes que celle de la syrah ou du cabernet-sauvignon.
On obtient un vin rosé lorsque la macération a lieu avant la fermentation et est de courte durée (quelques minutes à quelques heures, au lieu de quelques jours à quelques semaines pour les vins rouges). Les vins rosés ne sont jamais obtenus par l’assemblage d’un vin blanc et d’un vin rouge en faible quantité : ce procédé est interdit en France (à l’exception des champagnes rosés).
À partir de raisins noirs, il est également possible d’obtenir des vins blancs à condition de ne pas laisser macérer les peaux. Ces vins sont appelés blancs de noirs, en particulier pour certains champagnes (pinot noir et pinot meunier).
Les cépages blancs (à pellicule et pulpe blanches) donnent exclusivement des vins blancs. L’appellation blanc de blancs s’applique à un vin élaboré uniquement à partir du cépage blanc, le chardonnay. C’est le cas de certains champagnes.
Les cépages teinturiers (à pellicule et pulpe noires) ne donnent évidemment que des vins rouges.
Il faut ajouter les quelques cépages gris, dénommés ainsi en raison de leurs baies de couleur rose grisâtre ou bleu grisâtre.1 Le pinot gris et le grenache gris en sont des exemples bien connus. Comme le pinot blanc, le pinot gris est une variété de pinot noir résultant de mutations génétiques naturelles. Avec des cépages de pinot gris, on fait du vin blanc, dont la couleur est en fait d’un jaune soutenu.
Et les vins gris alors ? Ce sont des variantes des vins rosés : leur robe est très claire car, lors de la vinification, le temps de macération est très court. Dans ces conditions, à partir d’un pinot gris, on obtient un vin gris de gris !
L’importance du terroir
Ce que l’on entend par terroir, c’est bien sûr la nature géologique du sol et sa ressource hydrique, mais ce n’est pas tout. Il faut inclure le climat : les vins septentrionaux sont en général moins colorés que les vins méditerranéens. L’ensoleillement favorise en effet la production des pigments (dont la biosynthèse est régulée par la lumière et dépend de l’éclairement naturel). De plus, l’orientation par rapport au Soleil, l’altitude, ainsi qu’un éventuel microclimat, entrent également en jeu.
Sans oublier les facteurs humains tels que le savoir-faire technique et l’héritage de pratiques historiques. Le vigneron fait partie du terroir !
Notons enfin que les conditions météorologiques (pluviosité, ensoleillement) diffèrent selon les années, d’où des nuances de couleur du vin plus ou moins prononcées selon le millésime. Plus il a fait chaud et sec pendant l’année, plus les raisins seront chargés en pigments et plus les vins seront colorés.
De la vendange au vieillissement en cave
La maturité des raisins lors de la vendange est susceptible d’influencer la couleur du vin. Mais c’est surtout la méthode de vinification qui joue un rôle important : plus la durée de macération des peaux avec le moût est longue, plus on extrait des matières colorantes. Les techniques de pigeage2 et de remontage3 favorisent l’extraction.
Puis, les conditions d’élevage et la durée avant embouteillage ont également une influence. Un élevage dans des cuves ou des barriques laisse le temps aux anthocyanes le temps de subir des transformations. En outre, les tanins issus des bois constituant les barriques peuvent influer sur la couleur et surtout la saveur. En revanche, un embouteillage sans passage préalable dans ces contenants conduit à une faible intensité colorante.
Enfin, il est bien connu que le vieillissement en cave s’accompagne d’une évolution de la couleur. Les vins rouges perdent progressivement une partie de leur couleur lors de lents phénomènes d’oxydation.
Nous reviendrons plus en détail sur tous ces aspects par la suite en décrivant les nuances de couleurs des vins blancs, rouges et rosés. Puis au-delà de ce trio, il sera intéressant d’évoquer des vins spécifiques dont les couleurs peuvent être acajou, orange, brun, noir… et même bleu ! Auparavant, il conviendra de préciser la façon dont on caractérise la couleur d’un vin. Ce sera l’objet du prochain article.
En guise de transition, voici un extrait du recueil Odi Elementari de Pablo Neruda (1954), un bel éloge du vin et de sa couleur.
Références et notes
1Billet du 14.09.2021 : Couleur & vin. 1. Les couleurs des baies de raisin.
2La technique de pigeage consiste à enfoncer (manuellement ou mécaniquement) le chapeau (matières solides flottant à la surface) dans la partie liquide du moût en cours fermentation. Le but est d’oxygéner ce dernier et de favoriser l’extraction des constituants des pellicules du raisin (pigments, tanins…).
3Le remontage consiste à pomper régulièrement la partie basse du moût en cours de fermentation pour l’amener en haut de la cuve. L’humidification du chapeau ainsi réalisée facilite l’extraction des constituants des raisins.
Pour en savoir plus :
P. Scheromm, Quand le raisin se fait vin, Éditions Quae, 2011.
A. Carbonneau, J.-L. Escudier, De l’œnologie à la viticulture, Éditions Quae, 2017.