La palette de couleurs qu’offrent les vins1 est d’une telle richesse que la caractérisation fine des nuances exige tout le vocabulaire de la couleur en impliquant souvent des noms de fruits, de fleurs et de pierres précieuses. Plus rationnelle est la comparaison à un nuancier, méthode par ailleurs courante en peinture et en teinture. Mais les œnologues ne sauraient se contenter d’une description qualitative : une caractérisation quantitative est en effet requise pour effectuer des comparaisons et suivre des évolutions. Examinons les diverses approches, du qualitatif au quantitatif.2
Comment bien observer la robe d’un vin ?
Un dégustateur averti observant la robe d’un vin3 s’intéresse en premier lieu à la couleur, et plus précisément à la teinte et à l’intensité colorante (c’est-à-dire l’importance de la couleur). Selon la règle de l’art, il observe le verre sur un fond blanc mat (une nappe ou une feuille de papier) en l’inclinant à 45° (Fig. 1) avec un éclairage de face (ni latéral, ni oblique). L’intensité et la composition de la lumière jouent évidemment un rôle essentiel. La lumière naturelle et indirecte convient le mieux. À défaut, les sources lumineuses du type « lumière du jour » sont à privilégier. Enfin, l’intensité lumineuse doit être ni trop forte, ni trop faible, sinon il est difficile d’apprécier les nuances.

Le dégustateur porte également son attention sur l’aspect physique : la fluidité, la limpidité (ou la turbidité), la brillance (ou l’éclat), la formation de larmes, et éventuellement l’effervescence. Ces paramètres apportent de précieuses informations ; ils feront l’objet d’un prochain article.
Les mots choisis du dégustateur
« Sa robe pourpre mauve, cerise noire, en général soutenue, brille de tous ses feux », telle est la carte de visite du Santenay, vin rouge de Bourgogne, issu du Pinot noir.4 Bel exemple de termes choisis pour décrire qualitativement la robe d’un vin. Les dégustateurs rivalisent de mots évocateurs et d’expressions poétiques en exploitant toute la richesse du vocabulaire de notre langue. Une telle description est forcément subjective, d’autant que la couleur perçue n’est pas strictement identique d’un observateur à un autre.5
Pour décrire toutes les nuances, les noms courants de couleurs ne suffisent pas et il est fréquent de faire également appel à des noms de fruits (groseille, cerise, framboise, cassis, mandarine, pêche, abricot, litchi, mangue, melon, citron), de fleurs (rose, pivoine, jonquille), de métaux (or, cuivre, bronze) et de pierres précieuses (grenat, rubis, topaze).3 Notons au passage que des vins ont réciproquement donné leur nom à des couleurs : par exemple, un sac couleur bordeaux, un tissu couleur champagne.
Quant à l’intensité colorante, elle est exprimée par les qualificatifs suivants : pâle, légère, claire, forte, foncée, soutenue, dense, profonde, sombre, intense.
Tous ces qualificatifs de teinte et d’intensité colorante sont riches de renseignements, comme nous le verrons dans les articles à venir.
La comparaison à un nuancier
L’utilisation d’un nuancier pour la caractérisation d’une teinte est une méthode très ancienne inspirée des travaux de Chevreul sur la teinture des textiles. Un nuancier peut être utile lors de l’examen visuel de la robe d’un vin à l’occasion de dégustations. La figure 2 en donne un exemple.
Les teintes des vins rosés sont d’une telle diversité que le Centre du Rosé en Provence6 a réalisé divers nuanciers précis sur lesquels nous reviendrons dans l’article qui sera consacré à ces vins.

Les mesures quantitatives réalisées par les œnologues
En œnologie, des mesures quantitatives sont utiles pour évaluer les changements de couleur du vin consécutives à des opérations techniques (ex. : sulfitage), pour suivre la couleur du vin au cours de son évolution, pour contrôler les assemblages, etc.
• Mesures de l’absorption de la lumière à diverses longueurs d’onde
La couleur d’un vin est directement liée à son spectre d’absorption, c’est-à-dire à l’efficacité avec laquelle la lumière est absorbée (absorbance) en fonction de la longueur d’onde (Fig. 3). Commençons par les vins rouges. Leur spectre présente un maximum vers 520 nanomètres (nm), essentiellement dû aux anthocyanes7 (extraites des pellicules de raisin) et un minimum vers 420 nm. Pour simplifier, on se limite à des mesures de l’absorbance à ces deux longueurs d’onde, et on ajoute éventuellement une mesure à 620 nm pour tenir compte de la tendance vers le bleu de la couleur des vins jeunes.8

Le spectre d’absorption d’un vin rouge permet de déduire plusieurs caractéristiques.8
- La teinte s’exprime par le rapport des absorbances à 420 et 520 nm.
- L’intensité colorante est la somme des absorbances à 420, 520 et 620 nm.
- La composition de la couleur est reflétée par les pourcentages des trois composantes.
- L’éclat de la couleur rouge dépend de la forme du spectre d’absorption : le rouge est d’autant plus vif que le spectre est étroit autour du maximum à 520 nm.
Concernant les vins blancs, il est beaucoup plus difficile d’évaluer leur teinte, car le spectre d’absorption ne présente pas de maximum dans le visible mais dans l’UV (vers 280 nm) (Fig. 3). Dans le visible, l’absorbance décroît continûment jusqu’à 500 nm. Difficile donc de mettre à profit le spectre d’absorption pour caractériser les différences de couleurs jaunes observées pour des vins blancs secs, liquoreux et secs oxydés. Néanmoins, puisque toutes les substances jaunes absorbent à 420 nm, l’absorbance à cette longueur d’onde rend compte approximativement de la couleur.
• Mesures colorimétriques
Les trois paramètres couramment employés pour caractériser une couleur sont la teinte, la saturation et la clarté. Ils sont définis de la façon suivante.9
- La teinte distingue les sensations colorées : rouge, jaune, bleu, pourpre, etc.
- La saturation rend compte des divers niveaux de coloration pour une teinte donnée. Elle exprime la pureté d’une couleur.
- La clarté caractérise l’intensité lumineuse perçue. On se contente en général de valeurs relatives de 0 (noir) à 100 (blanc).10
L’espace colorimétrique CIE L*a*b* est mis à profit dans de nombreux secteurs pour déterminer ces trois paramètres (voir annexe) : la peinture, la photographie, l’infographie, mais aussi l’œnologie. Cette méthode convient bien en particulier pour la caractérisation fine des vins rosés. La figure 4 en donne une illustration.

En conclusion, caractériser la couleur d’un vin est une tâche très délicate. Ce n’est pas seulement en raison de l’extrême diversité des nuances possibles, c’est aussi parce que, d’une façon générale, la couleur est subjective5 et indissociable du contexte de l’observation et du vécu de l’observateur.
Références et notes
1Voir le billet du 27.09.2021 : Couleur & vin. 2. Comment les vins acquièrent-ils leurs séduisantes couleurs ?
2Ce billet reprend l’essentiel de l’article de B. Valeur paru dans la Revue des Œnologues (vol. 169, pp. 22-26, 2018) sous le titre « Si les couleurs m’étaient contées ».
3É. Peynaud et J. Blouin, Le goût du vin, Dunod, 2013 (5e éd.).
4Citation extraite du site www.vins-bourgogne.fr
5Voir le billet du 12.10 2018 : Pourquoi la perception des couleurs n’est-elle pas parfaitement identique pour chacun de nous ?
6Les nuanciers des vins rosés, centredurose.fr.
7Voir le billet du 14.09.2019 : Couleur & vin. 1. Les couleurs des baies de raisin.
8P. Ribéreau-Gayon et al., Traité d’œnologie, Tome 2, Dunod, 2012 (6e éd.), pp. 226-227.
9B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats, Belin, 2011.
10En photométrie, on emploie le terme de luminance (représentant le quotient de l’intensité lumineuse d’une surface par l’aire apparente de cette surface). Quant au terme luminosité, employé à tort à la place de clarté, il est mal défini et doit être évité.
ANNEXE. Espace colorimétrique CIE L*a*b*
Les teintes pures (saturées) sont réparties sur la circonférence d’un cercle placé sur un plan horizontal. Entre les teintes extrêmes du spectre visible, le rouge et le violet, on ajoute les pourpres correspondant à des proportions variables de ces deux couleurs. La saturation diminue lorsqu’on s’éloigne de la circonférence vers le centre. La clarté est portée sur un axe vertical de 0 (noir) à 100 (blanc), de bas en haut. Dans la représentation tridimensionnelle (ci-dessous, à droite), L* désigne la clarté, h l’angle de teinte et C* le chroma (saturation). Dans un plan horizontal, c’est-à-dire pour une clarté L* donnée, les coordonnées d’un point sont les composantes chromatiques a* (axe vert-rouge) et b* (axe bleu-jaune). h et C* s’expriment simplement en fonction de a* et b* : h = arctg(b*/a*), C* = (a*2 + b*2)1/2.