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Les vagues de chaleur à répétition, conjuguées à l’apport de phosphates dans les plans d’eau, offrent des conditions propices à la prolifération des « algues bleues ». Au grand dam des baigneurs car la toxicité de ces dernières conduit régulièrement les autorités à interdire les baignades dans les lacs et les étangs contaminés. C’est l’occasion de préciser la nature de« algues bleues » (car ce ne sont pas des algues mais des bactéries !) et d’expliquer l’origine de leur couleur : souvent bleu-vert mais pas toujours.

Les « algues bleues » sont des cyanobactéries

Les cyanobactéries1,2 ont une morphologie proche de celle des algues (Fig1) et à l’instar de celles-ci, elles possèdent un système photosynthétique produisant de l’oxygène. C’est pourquoi on les a longtemps classées dans les algues sous le nom de « algues bleues » ou de « algues bleu-vert » en raison de leur couleur. Puis, après avoir reconnu leur nature procaryotique (elles n’ont pas de noyau individualisé), on les a reclassées dans les bactéries.

Fig. 1. Les cyanobactéries (ici Anabaena sperica) ressemblent à des algues mais n’en font pas partie. Source : Wikimedia Commons

Les cyanobactéries constituent le groupe le plus diversifié des bactéries photosynthétiques en termes de nombre d’espèces, de forme, d’aspect, d’habitat, de modes de reproduction. Elles sont néanmoins toutes productrices d’oxygène (photosynthèse oxygénique) comme les plantes, contrairement aux bactéries pourpres et vertes qui, elles, sont le siège d’une photosynthèse anoxygénique dans un habitat aquatique et anaérobie. Sur notre planète, les bactéries pourpres et vertes sont apparues avant les cyanobactéries.2 Ces dernières ont joué un rôle majeur car l’oxygène qu’elles ont produit est responsable de la « Grande Oxydation »3 il y a environ 2,4 milliards d’années : l’oxygène a oxydé le fer(II) que les océans contenaient en grande quantité, puis s’est accumulé dans l’atmosphère terrestre.

Les cyanobactéries accomplissent la photosynthèse en faisant fonctionner deux photosystèmes (PS I et PS II), comme les plantes. Cependant, elles ne possèdent pas d’antenne collectrice de lumière analogue à celle des plantes : leur spécificité est d’absorber les photons au moyen de trois phycobiliprotéines formant les phycobilisomes : ces derniers fonctionnent comme une sorte d’antenne spécifiquement associée au PS II et équipée de grands bras collecteurs (Fig. 2).2

Fig. 2. Les cyanobactéries captent la lumière grâce aux phycobilisomes qui comportent trois phycobiliprotéines absorbant la lumière dans des domaines de longueurs d’onde différents : la phycoérythrine, la phycocyanine et l’allophycocyanine dont les couleurs sont respectivement rouge-magenta, bleu et bleu-vert (cyan). Les photosytèmes PS I et PS II contiennent de la chlorophylle a (verte).

La couleur des cyanobactéries : bleu-vert mais pas toujours

Une grande partie des cyanobactéries ont une couleur bleu-vert, d’où le préfixe cyan qui désigne précisément cette couleur4. L’apparence colorée provient des pigments que ces bactéries contiennent. Il s’agit de la chlorophylle a (verte) et de trois phycobiliprotéines (Fig. 2) : la phycocyanine (bleu), l’allophycocyanine (bleu-vert ou cyan) et la phycoérythrine (rouge-magenta) ; on trouve également cette dernière dans les algues rouges.2 Ces couleurs sont directement liées à l’absorption préférentielle de la lumière par ces pigments dans une partie du domaine visible (voir Annexe).

Les cyanobactéries ont la faculté d’adaptation chromatique : elles optimisent la collecte de lumière. Par exemple, elles produisent de la phycocyanine quand elles sont éclairées par une lumière de couleur orangé. Il en résulte une grande diversité de couleurs de ces bactéries. La surface des plans d’eau contaminés apparaît de couleur bleu-vert, vert olive, rouge, ou brunâtre (mélange de rouge et de vert). Une odeur désagréable est parfois perceptible.

Les conditions de prolifération

Dans des conditions normales, les cyanobactéries sont inoffensives et c’est seulement lorsqu’elles prolifèrent qu’elles deviennent néfastes pour la santé des humains et des animaux. Des vagues de chaleurs répétées avec des températures élevées et surtout un fort ensoleillement sont favorables à leur prolifération. En effet, nous avons vu que ce sont des bactéries photosynthétiques : elles convertissent l’énergie du Soleil en énergie chimique d’autant plus efficacement que l’intensité de la lumière qu’elles reçoivent est forte, avec toutefois une saturation aux fortes intensités.

L’apport de phosphates et de composés azotés principalement d’origine agricole contribue également à la prolifération, comme celle des algues vertes sur les côtes bretonnes, dont on connaît également les dangers.

Une toxicité redoutable

Il existe des milliers d’espèces de cyanobactéries et une quarantaine d’entre elles sont dangereuses pour la santé. Malheureusement, aucun antidote n’existe pour les toxines qu’elles libèrent quand elles meurent. Les baignades dans des lacs, mares et étangs contaminés sont vivement déconseillées. Vomissements, diarrhées, maux de tête, irritations de la peau, du nez, de la gorge et des yeux, tels sont les symptômes les plus fréquents qui ont été signalés par des baigneurs dans diverses régions : Ardennes, Alsace, Pays de la Loire, Tarn… Si un baigneur boit la tasse, il risque fort de se retrouver à l’hôpital en soins intensifs.

Les animaux ne sont pas épargnés : en France et en Suisse, on a rapporté plusieurs cas de chiens se baignant ou jouant dans l’eau qui ont été pris de convulsions et qui sont morts dans l’heure.

Signalons également que la prolifération des cyanobactéries perturbe le fonctionnement des écosystèmes aquatiques par la biomasse qu’elles génèrent. De plus, la reproduction des poissons est perturbée par l’accumulation des toxines dans l’eau.

La prolifération des cyanobactéries est un exemple flagrant, parmi bien d’autres, des effets délétères sur la vie que provoquent le changement climatique et la pollution. Alors, comment limiter cette prolifération ? Si la réduction des vagues de chaleur n’est pas pour demain, il est en revanche possible de réduire les apports de phosphates et de composés azotés : les cyanobactéries ne proliféreront plus si l’on cesse de leur apporter sur un plateau ces nutriments dont elles sont friandes.

Références et notes

1Cyanobacteria, Wikipedia

2B. Valeur, É. Bardez, La lumière et la vie. Une subtile alchimie, Belin, 2015.

3 – Grande Oxydation, Wikipedia

   – La grande oxygénation de l’atmosphère terrestre revisitée, CNRS Actualités, 8 juin 2018.

4Le mot cyan provient du grec ancien kuanos, « bleu sombre » ou du sanskrit shyam, « cyan ». C’est à la fin du XIXe siècle que ce terme commença à être utilisé pour la couleur de l’encre utilisée en imprimerie.

ANNEXE. Absorption et fluorescence des phycobiliprotéines

Les spectres d’absorption des phycobiliprotéines (phycoérythrine, phycocyanine et allophycocyanine) sont présentés ci-dessous. La phycoérythrine n’absorbe pas dans le rouge et peu dans le bleu ; les longueurs d’onde correspondant à ces deux couleurs se superposent donc sur la rétine de nos yeux en procurant une sensation de rouge-magenta (ou pourpre). La phycocyanine et l’allophycocyanine absorbent dans le rouge et peu dans le bleu (minimum d’absorbance vers 460-470 nm), d’où leur couleur bleue avec toutefois une différence de nuance car le spectre de l’allophycocyanine est décalé vers rouge par rapport à celui de la phycocyanine : elle absorbe moins dans le vert et sa couleur tire donc davantage vers le vert (couleur cyan).

Adaptation d’une figure du chapitre de R. R. Sonani et al., In: Algal green chemistry, Chap. 5 – Natural antioxidants from algae: A therapeutic perspective, pp. 91-120, 2017. https://doi.org/10.1016/B978-0-444-63784-0.00005-9

Ces phycobiliprotéines sont fluorescentes (les spectres d’émission sont représentés en pointillés ci-dessus). Le spectre d’émission de la phycoérythrine recouvre bien le spectre d’absorption de la phycocyanine, et le spectre d’émission de la phycocyanine recouvre bien le spectre d’absorption de l’allophycocyanine. C’est pourquoi un transfert d’énergie (non radiatif, c’est-à-dire sans émission de photons) en cascade se produit. L’énergie lumineuse collectée est ainsi dirigée vers le centre réactionnel du photosystème PS II.