Les nébuleuses du cosmos émerveillent par l’élégance de leurs formes et la beauté de leurs couleurs (Fig. 1). Sur les images qui sont diffusées, les couleurs sont-elles aussi vives et « vraies »1 que celles que nous verrions si nous étions à une distance suffisamment proche pour que la nébuleuse occupe une part convenable de notre champ de vision ? Il est rare qu’il s’agisse de vraies couleurs, même dans le cas où les détecteurs – dont sont équipés les télescopes (comme Hubble) et les sondes spatiales – sont sensibles dans le visible. Et lorsque ces détecteurs ne le sont pas, il va de soi que les images sont en fausses couleurs2 (comme ceux du télescope James Webb). Comment sont-elles choisies ?
Les nébuleuses sont faiblement lumineuses !
D’une façon générale, les objets du ciel profond (galaxies, nébuleuses…) apparaissent faiblement lumineux en raison de leur grande distance par rapport à la Terre. Lors de l’observation à l’œil à travers un télescope, la luminosité est insuffisante pour que les cônes de la rétine soient opérationnels pour procurer les sensations de couleur. Les autres photorécepteurs de la rétine sont les bâtonnets, beaucoup plus sensibles que les cônes : ils permettent de voir dans la pénombre mais n’induisent aucune sensation de couleur.3 Ainsi, les nébuleuses apparaissent souvent en niveaux de gris, ou au mieux, monochromes : rougeâtres pour celles qui abondent en hydrogène (voir ci-dessous).
Ajoutons que, même avec des télescopes munis de détecteurs et de filtres, un long temps de pause est souvent requis pour acquérir une image… ce que notre système visuel est incapable de réaliser : il ne suffit pas de laisser les yeux ouverts pendant longtemps pour rendre visible ce qui ne l’est pas au premier coup d’œil !
Les images des nébuleuses diffusées sur le web (Fig. 1) sont donc toujours beaucoup plus lumineuses et colorées que ce que nous verrions si nous étions à une distance suffisamment proche.

Rappelons que, sauf exception, les images transmises par les télescopes terrestres et spatiaux et les sondes spatiales sont en niveaux de gris. Des clichés sont pris à travers plusieurs filtres et lors du traitement, une couleur est assignée à chacun d’eux, les images ainsi obtenues étant ensuite recombinées. 1
La lumière en provenance des nébuleuses : émission, réflexion et diffusion
La lumière qui parvient des nébuleuses est due à plusieurs phénomènes qui interviennent souvent simultanément.
– L’émission par des atomes ionisés.4 L’ionisation des gaz tels que l’hydrogène, l’oxygène, l’azote… (c’est-à-dire l’éjection d’un électron, parfois deux), est provoquée par les radiations ultraviolettes intenses (photons de haute énergie) émises par les étoiles jeunes dont la température dépasse 25 000 K (ces étoiles sont très chaudes et donc de couleur bleutée). On parle dans ce cas de photoionisation. Les atomes ionisés se recombinent chacun avec un ou deux électron(s) (selon le degré d’ionisation) pour redonner des atomes neutres mais cette fois dans un état d’énergie supérieure (état excité). Lors de leur retour à l’état d’énergie le plus bas (désexcitation), les atomes émettent des photons. Cette émission relève donc du phénomène de luminescence (et non pas de l’incandescence, comme la lumière émise par les étoiles).5 En revanche, si la température d’une étoile est inférieure à 25 000 K, les radiations UV qu’elle émet ne sont pas suffisamment énergétiques pour induire une photoionisation.
– La réflexion et la diffusion de la lumière provenant d’étoiles proches par des poussières.6 La lumière venant d’une étoile est réfléchie par des poussières (constituées de divers éléments : carbone, fer, nickel…). Si la température de l’étoile dépasse 10 000 K, la lumière qu’elle émet est bleutée, il en est donc de même pour la lumière réfléchie par ces poussières. La diffusion peut également contribuer à l’apparition d’une couleur bleutée, ou la renforcer, puisque l’efficacité de la diffusion est d’autant plus grande que la longueur d’onde est courte (ce qui explique notamment pourquoi le ciel terrestre apparaît bleu).
Ajoutons que les parties obscures ou sombres des nébuleuses sont des régions où le gaz est très compact et/ou la densité de poussières est grande. La lumière venant des étoiles situées en arrière-plan est alors occultée (Fig. 2). Cependant, avec des détecteurs sensibles dans l’infrarouge (comme ceux du télescope spatial James Webb), il est possible de détecter ces étoiles car les radiations infrarouges sont peu absorbées par les poussières (voir ci-dessous). L’émission infrarouge par les poussières est également observable avec ce type de détecteurs.
Les émissions par les gaz dans le domaine visible
Nombre de nébuleuses sont constituées de gaz où l’hydrogène prédomine (environ 90 % pour la plupart d’entre elles). C’est ce dernier qui est à l’origine de la couleur à dominante rouge (Fig. 2). Voyons pourquoi. Les atomes d’hydrogène ionisés par les radiations UV de haute énergie venant d’étoiles très chaudes (comme précisé ci-dessus) se recombinent chacun avec un électron pour redonner des atomes neutres dans un état excité. La désexcitation subséquente s’accompagne d’une émission de photons à des longueurs d’onde correspondant aux différences d’énergie entre les niveaux d’énergie de l’hydrogène. Dans le domaine de longueurs d’onde de la lumière visible, la plus importante de ces transitions correspond à une longueur d’onde située dans le rouge (656,3 nm). Cette transition est dénommée Hα (appartenant à la série de Balmer), et c’est elle qui donne à certaines nébuleuses cette couleur rouge caractéristique (Fig. 2).

Outre l’hydrogène, les nébuleuses contiennent d’autres gaz (hélium, oxygène, azote, soufre). L’ionisation de l’hélium requiert une énergie beaucoup plus grande que celle de l’hydrogène et l’émission de l’hélium ionisé se situe dans l’UV lointain (30,4 nm), donc invisible à l’œil. Quant à l’oxygène, il est souvent doublement ionisé par les radiations UV de haute énergie (rien à voir avec le dioxygène de l’atmosphère terrestre qui, lui, est incolore !) et son émission est de couleur vert-turquoise (raie principale à 500,7 nm et raie secondaire à 495,9 nm).7 Enfin, l’azote ionisé émet dans le rouge (raies aux environs de 645 nm), de même que le soufre ionisé (raies à 671,9 et 673,0 nm).
Comment distinguer l’hydrogène, l’azote et le soufre qui émettent à des longueurs d’onde voisines ? En utilisant un spectrographe, appareil qui enregistre l’intensité lumineuse en fonction de la longueur d’onde. À titre d’exemple, la figure 3 montre l’image de la nébuleuse australe du Crabe obtenue en combinant les clichés pris par la caméra à champ large de Hubble (Wide Field Camera 3) et les données spectrales fournies par son spectrographe STIS (Space Telescope Imaging Spectrograph).8 Ce dernier est capable d’enregistrer séparément les distributions des émissions par l’oxygène, l’hydrogène, l’azote et le soufre dont l’ionisation est provoquée par le rayonnement UV venant d’une paire d’étoiles très brillantes.9

Des fausses couleurs pour distinguer les éléments émissifs
Pour distinguer, sur une image, des éléments qui émettent à des longueurs d’onde voisines, on met à profit des fausses couleurs. Voyons comment.
La superbe et célébrissime image des Piliers de la création obtenue via le télescope Hubble (Fig. 4B) est quasiment toujours présentée avec des couleurs dissemblables de celles qu’un œil humain distinguerait. L’image en vraies couleurs (Fig. 4A) est beaucoup moins séduisante mais aussi moins informative : elle est à dominante rouge en raison l’importance de l’émission de l’hydrogène ionisé (voir ci-dessus). Le soufre ionisé émet également dans le rouge. Sur l’image de la figure 4B, la couleur rouge est conservée pour le soufre mais la couleur verte est attribuée arbitrairement à l’hydrogène. Quant à l’oxygène doublement ionisé, nous avons vu que son émission se situe dans le vert mais elle est visualisée ici en bleu ! Alors pourquoi n’avoir pas conservé le vert pour représenter l’oxygène et attribuer une autre couleur à l’hydrogène ? Simplement pour des raisons d’esthétique.

En outre, pour que la couleur verte assignée à l’hydrogène ne soit pas trop prédominante – au point de produire une image verdâtre peu attrayante –, elle a été soustraite en grande partie. Ainsi, le fond apparaît d’un bleu intense à l’instar d’un ciel terrestre à la tombée de la nuit ! L’impression visuelle aurait été totalement différente si le fond avait été maintenu rougeâtre (Fig. 4A) au lieu de bleu nuit. Ajoutons que l’orientation de l’image est également arbitraire, afin de représenter une élévation de « piliers » vers le haut. On peut y voir une portée symbolique.
Il est malheureusement rare que les commentaires des images diffusées fournissent des informations précises sur les couleurs. De plus, il est fréquent de lire que l’oxygène est représenté en bleu sans qu’il soit précisé que ce n’est pas sa vraie couleur d’émission !
Les fausses couleurs pour révéler l’invisible
L’émission dans le domaine visible n’est qu’une toute petite partie des radiations électromagnétiques provenant de l’espace. Celles qui sont invisibles à nos yeux sont riches d’information et c’est pourquoi nombre de télescopes sont équipés de détecteurs qui sont sensibles, selon les cas dans les domaines des rayons X, de l’ultraviolet, de l’infrarouge et des ondes radio. Les images finales sont évidemment en fausses couleurs.
Le télescope James Webb mérite une attention particulière : il est équipé de détecteurs dans le domaine de l’infrarouge proche (0,6 à 5 micromètres) avec la caméra NIRCam et l’infrarouge moyen (5 à 28 micromètres) avec la caméra MIRI.10Chacune d’elle est équipée de nombreux filtres à travers lesquels des clichés sont pris. Les couleurs assignées à ces derniers sont choisies logiquement dans l’ordre chromatique, c’est-à-dire du bleu au rouge pour les longueurs d’onde croissantes.
L’extraordinaire pouvoir de résolution du télescope James Webb est illustré sur la figure 5 montrant la Nébuleuse de l’Anneau austral. Par comparaison avec l’image du télescope Hubble, des détails sont révélés avec une précision stupéfiante. La paire d’étoiles apparaît nettement au centre (image MIRI). On distingue également les vagues successives de gaz éjectés par l’étoile de plus faible intensité ; les vagues les plus proches étant les plus récentes, les astronomes sont ainsi en mesure de retracer l’évolution du système.

Les comparaisons d’images obtenues par les télescopes Hubble et Webb foisonnent.11 Il est frappant de constater que bien souvent, les chercheurs chargés de traiter les images issues du télescope Webb ont cherché à retrouver les fausses couleurs qui apparaissent sur celles venant de Hubble, comme le montre la figure 6. Les images de Webb (caméra NIRCam) révèlent davantage de détails grâce à la transparence des poussières dans l’infrarouge. Ainsi apparaissent des centaines d’étoiles qui étaient auparavant invisibles.

Les images finales en couleurs sont le fruit d’un long travail méticuleux12,13 qui relève de la science, de la technologie… et de l’art, car l’aspect esthétique l’emporte souvent dans le choix des couleurs, mais sans altération de la réalité des détails. « Tout ce que nous voyons dans l’image est réel. Toutes les étoiles, tous les nuages, toutes les structures, tous les filaments, tous les globules… Tout est là. Nous n’avons rien créé. », dit Olivier Berné, astrophysicien à l’Irap.13 Les images en couleurs enchantent le grand public et facilitent la tâche des chercheurs. Mais ces derniers consacrent beaucoup plus de temps à l’analyse des spectres – dans tous les domaines de longueurs d’onde – qui sont riches d’informations sur la composition, la température, la densité et la vitesse des gaz. « Les images et les spectres sont des partenaires dans l’investigation de l’univers. Une image vaut mille mots, mais un spectre vaut mille images ! »14.
Remerciements à Thomas Appéré pour la relecture de cet article.
Références et notes
1 Une couleur sur une image est dite « vraie » si elle est proche de celle qu’un observateur humain percevrait s’il voyait directement l’objet. Voir le premier billet de cette série : “Les images de l’espace : en vraies ou fausses couleurs ? 1. Comment définir une vraie couleur et classer les fausses couleurs ?”
2 Un classement des fausses couleurs a été proposé dans le premier billet de cette série (cité ci-dessus)
- Type A. Les couleurs « vraies » sont rehaussées en jouant par exemple sur la saturation et le contraste de façon à faire ressortir les détails.
- Type B. Des couleurs sont attribuées arbitrairement à des domaines de longueur d’onde auxquels l’œil humain est insensible : l’infrarouge, l’ultraviolet, les rayons X…
- Type C. On remplace la couleur que perçoit un observateur humain par une autre couleur choisie arbitrairement.
- Type D. Des couleurs sont affectées aux divers niveaux de gris dans une image en noir et blanc dans le but de la rendre plus lisible et/ou de révéler certains détails.
3 B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats, Belin, 2011.
4 Emission nebula, Wikipedia
5 B. Valeur, Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin, 2017 (2e éd.).
6 Reflection nebula, Wikipedia
7 Doubly ionized oxygen, Wikipedia.
8 Hubble space telescope: Observatory – Instruments, NASA
9Colors of the southern crab nebula, hubblesite.org
10 JWST user documentation : Near Infrared Camera (NIRCam) – Mid-Infrared Instrument (MIRI)
11 Side-by-side images from the James Webb and Hubble space telescopes show why NASA spent 25 years and $10 billion on the Webb, businessinsider.com
12 D. Larousserie, Dans la fabrique des images du « James-Webb », Le Monde, 19.09.2022.
13 Louis San, « Tout ce que vous voyez est réel » : on vous explique comment sont fabriqués les clichés du télescope James Webb, France Info
14 Analyzing light: southern crab nebula, viewspace.org
Bonjour, bel article. Il y a cependant une petite coquille (qu’on retrouve plus ou moins sur Wikipédia étonnamment !) : en Fig 7 vous mettez à gauche la photo de la nébuleuse de l’anneau boréal (M57, dans la Lyre) et ensuite l’anneau austral imagé par JWST : ce sont deux nébuleuses différentes, ce qui se voit assez clairement d’ailleurs si on compare les images, si la structure est comparable, elle est toutefois différente. Voici un lien vers la nébuleuse de l’anneau austral imagé par HST et par JWST.
Note : la confusion semblable est sur la page wiki de la nébuleuse de la Lyre (M57) où il est dit que JWST y a découvert une étoile double alors que c’est dans la nébuleuse de l’anneau austral. Après, pourquoi les astronomes donnent le même nom à deux nébuleuses différentes ? Je vous le demande 🙂
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