Les planètes géantes Neptune et Uranus sont bleues avec toutefois des teintes nettement différentes : Neptune apparaît d’un bleu plus saturé avec des stries et des taches tandis que le bleu d’Uranus est plus pâle (Fig. 1). Pourtant, ces planètes de taille similaire possèdent une atmosphère dont la composition est voisine, et leur profil vertical de température est analogue. Alors d’où vient cette différence de teinte ? Restée longtemps inexpliquée, elle n’a été élucidée qu’en 2022.1 Voyons comment.

Fig. 1. Ces images d’Uranus et de Neptune transmises par la sonde Voyager 2 montrent une différence notable de couleur. L’image de Neptune révèle la Grande Tache Noire (Great Dark Spot) et une tache brillante voisine. Crédits : NASA/JPL-Caltech et NASA/JPL.

Pourquoi des mondes bleus ?

Uranus et Neptune sont les planètes les plus éloignées du système solaire : respectivement à 2,87 et 4,5 milliards de kilomètres du Soleil. Seul le vaisseau spatial Voyager 2 a rendu brièvement visite à Uranus en 1986 et à Neptune en 1989 au cours d’un grand périple, après avoir survolé Jupiter et Saturne. Parallèlement, des télescopes terrestres et spatiaux n’ont pas manqué de se tourner vers ces planètes intrigantes dont les brumes cachent les secrets de leur structure interne.

Plusieurs modèles actuels de la structure d’Uranus et de Neptune font l’hypothèse de trois couches : un cœur rocheux, une couche médiane (le manteau) allant de glacée à liquide et constituée d’eau, de méthane (CH4) et d’ammoniac (NH3), et une atmosphère composée essentiellement de dihydrogène, d’hélium et de méthane.2 La composition de l’atmosphère est similaire pour les deux planètes : 80 % (en volume) d’hydrogène, 19 % d’hélium, 1,5 % méthane (soit une fraction molaire de 4 %).

Et que dire de la couleur bleue d’Uranus et de Neptune ? Elle contraste avec celle des planètes géantes gazeuses, Jupiter et Saturne, qui tire sur le jaune car leur composition est différente (plus riche en éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium). Le bleu résulte de deux effets : d’une part, l’abondance de méthane gazeux qui possède d’intenses bandes d’absorption dans la partie rouge du spectre visible (ainsi que dans l’infrarouge), et d’autre part, la diffusion Rayleigh3 par les molécules constitutives des atmosphères des deux planètes. La couleur bleue du ciel terrestre s’explique de la même façon en termes de diffusion Rayleigh par les molécules constitutives de l’air.

Compte tenu des similitudes des fractions de méthane atmosphérique ainsi que des profils verticaux de température pour les deux planètes, on pourrait s’attendre à ce que le méthane soit distribué de façon analogue. Cependant, la différence de couleur ne le confirme pas. En outre, des nuages brillants sont couramment observés dans l’atmosphère de Neptune, alors qu’ils s’avèrent occasionnels dans celle d’Uranus. De plus, des taches sombres d’origine inconnue ont été observées dans l’atmosphère de Neptune, la plus connue étant la Grande Tache Noire observée par Voyager 2 en 1989 et plus récemment par le télescope spatial Hubble.

Des couches de brume différentes dans les atmosphères des deux planètes

Une équipe internationale de chercheurs dirigée par Patrick Irwin a rassemblé et analysé les données spectroscopiques transmises par Voyager 2 ainsi que celles du télescope spatial Hubble et de deux télescopes terrestres : Gemini Nord et NASA Infrared Telescope Facility (IRTF). L’objectif : élaborer un modèle atmosphérique unique compatible avec les observations de la lumière solaire réfléchie par les deux planètes (spectres de réflectivité) dans le visible et le proche infrarouge.

Ce modèle, décrit dans un article paru en mai 2022,1 postule l’existence de trois couches dans l’atmosphère. La couche supérieure est constituée d’une brume « photochimique » dont les constituants inconnus sont les produits de réactions photochimiques impliquant les constituants de l’atmosphère. Ces dernières sont induites par les radiations ultraviolettes venant du Soleil.

Cette brume est ensuite concentrée en une couche intermédiaire stable dont la pression se situe entre 1 et 2 bars environ. Cette couche est constituée de particules dont la taille est de l’ordre du micromètre et qui sont donc responsables d’une diffusion blanche de la lumière solaire.Or cette couche s’avère être deux fois plus épaisse sur Uranus que sur Neptune ; elle confère donc à la première une teinte plus pâle du fait d’une contribution plus grande de lumière diffusée blanche. En outre, cette couche intermédiaire est plus agitée sur Neptune sous l’action de vents puissants ce qui l’empêche de s’épaissir et maintient une couleur bleue moins pâle que celle d’Uranus.

À la base de la couche intermédiaire, les particules de brume servent de noyaux de condensation pour le méthane. Il se forme ainsi des particules de glace de méthane assez lourdes pour descendre en neige jusqu’à une altitude où la pression est de 5 à 7 bars. Là, elles se réchauffent suffisamment pour que le méthane s’évapore. Dans la couche plus profonde, les particules de brume résiduelles deviennent des sites de nucléation pour un autre cycle de condensation, impliquant cette fois du sulfure d’hydrogène (H2S). Cette couche profonde pourrait être à l’origine des taches sombres observables occasionnellement sur Neptune, comme la célèbre Grande Tache Noire observée par Voyager 2 en 1989.

Les chercheurs ont ainsi réussi à l’aide de diverses simulations à établir un modèle qui rend compte des similitudes et des différences entre Uranus et Neptune, notamment en termes de couleurs. Toutefois, une grande partie des mécanismes mis en jeu reste à élucider, de même que la nature des constituants de la brume « photochimique ».

Changements saisonniers sur Uranus sous l’œil de Hubble

Uranus n’est pas aussi homogène que pourraient laisser penser les images transmises par Voyager 2 (Fig. 1). En effet, Leigh Fletcher de l’Université de Leicester a rassemblé en 2021, avec l’aide d’étudiants, les observations d’Uranus par le télescope Hubble de 1995 à 2020 en explorant les archives publiques de la NASA. L’animation ainsi obtenue met en évidence des changements saisonniers sur cette planète (Fig. 2).

Fig. 2. Images (colorisées) d’Uranus. Animation réalisée par Leigh Fletcher à partir des données transmises à 619 nm par le télescope Hubble de 1995 à 2020. Crédit : NASA/ESA / Leigh Fletcher. Source : https://twitter.com/LeighFletcher/status/1385594370699800578

Neptune vue par James Webb

En septembre 2022, le télescope James Webb a transmis des données collectées par la caméra NIRCam (Near-Infrared Camera) permettant de reconstruire une image spectaculaire de Neptune (Fig. 3).5 Dans le domaine de longueurs d’onde où cette caméra est sensible (proche infrarouge : de 0,6 à 5 micromètres), le méthane absorbe si fortement que la planète apparaît assez sombre. Colorisée en blanc et en niveaux de gris, l’image révèle néanmoins des anneaux avec une netteté époustouflante. En outre, des nuages de glace de méthane à haute altitude apparaissent sous la forme de bandes et de taches brillantes. Ces nuages reflètent la lumière du Soleil avant qu’elle ne soit absorbée par le méthane.

Fig. 3. Image (colorisée en blanc grisé) de Neptune reconstruite à partir de données dans le proche infrarouge transmises par la caméra NIRCam du télescope James Webb. Crédits : NASA, ESA, CSA, STScI

Nul doute que d’autres résultats permettront d’affiner notre compréhension de ces géantes glacées pour lesquelles l’intérêt est d’autant plus grand que les exoplanètes les plus répandues dans l’Univers présentent de fortes similitudes avec Neptune et Uranus.

Références et notes

1 P. G. J. Irwin, Hazy blue worlds: A holistic aerosol model for Uranus and Neptune, including dark spots, Journal of Geophysical Research: Planets, vol. 127(6), e2022JE007189, 2022. https://doi.org/10.1029/2022JE007189

2 Uranus – Wikipedia. Neptune – Wikipedia .

3 Lorsque la taille des particules est inférieure à environ un dixième de la longueur d’onde λ des radiations visibles en moyenne (c’est le cas des molécules de l’air de l’atmosphère terrestre, et des molécules de dihydrogène, d’hélium et de méthane des atmosphères de Neptune et Uranus), la théorie de Rayleigh prévoit que l’intensité de la lumière diffusée est inversement proportionnelle à λ4. Pour cette raison, les radiations correspondant aux parties bleue et violette du spectre solaire sont diffusées plus efficacement par l’atmosphère que celles constituant les autres parties du spectre. Une atmosphère constituée de gaz devrait donc apparaître plus violette que bleue. En fait, si la couleur perçue par l’œil humain est bleue c’est parce que d’une part, notre œil est plus sensible dans le bleu que dans le violet et que, d’autre part la lumière solaire est moins intense dans le violet que dans le bleu.

4 Quand la taille des particules est nettement supérieure aux longueurs d’onde de la lumière, la théorie de Gustav Mie prévoit que l’efficacité de la diffusion ne dépend quasiment pas de la longueur d’onde, d’où la couleur blanche de la lumière diffusée par les nuages (constitués de gouttelettes ou de microcristaux).

5 New Webb image captures clearest view of Neptune’s rings in decades, NASA