Décarboner l’énergie est devenu un enjeu primordial pour l’humanité. Dans ce but, l’hydrogène (plus précisément le dihydrogène H2) est pressenti pour jouer un rôle majeur.1 Il est donc utile d’avoir une vue d’ensemble des divers procédés de production que l’on distingue généralement en attribuant une couleur à l’hydrogène produit, selon l’importance de l’empreinte carbone. Il s’agit évidemment de fausses couleurs car comme chacun sait, le dihydrogène est un gaz incolore. Après une brève revue des procédés et des couleurs associées, nous verrons qu’il n’est pas toujours évident d’interpréter ces dernières, par exemple gris, turquoise, rose, violet… Il est rare que les auteurs d’articles sur le sujet prennent la peine de les justifier.

Une pléthore de procédés

• À partir du méthane : l’hydrogène gris, bleu, turquoise

La méthode de production d’hydrogène la plus employée à l’échelle industrielle est le reformage du méthane (gaz naturel ou biométhane) par la vapeur d’eau.2 L’hydrogène ainsi produit est qualifié de gris pour une raison qui sera discutée plus loin. La quantité de CO2 produite conjointement est importante : plus de 10 kg d’équivalent CO2 par kg d’hydrogène. Ce procédé est actuellement le moins onéreux et représente 95 % de la production mondiale d’hydrogène.

Lorsque le CO2 en sortie est capté pour l’utiliser ou le stocker en couche géologique, l’hydrogène produit est qualifié de bleu. Toutefois, une étude a montré que les émissions totales d’équivalent CO2 ne sont en fait que de 9-12 % inférieures à celles de la production d’hydrogène gris. La raison est double : d’une part, il faut consommer davantage de méthane afin de faire fonctionner le dispositif de captage de CO2, et d’autre part, le procédé engendre des fuites de méthane, un puissant gaz à effet de serre.3 L’hydrogène bleu ne peut donc pas être considéré comme un hydrogène « bas-carbone ».

Un autre procédé suscite un intérêt croissant : la pyrolyse du méthane à haute température pour la coproduction d’hydrogène et de carbone solide.4 Dans ce cas, on parle d’hydrogène turquoise. Cette méthode présente deux avantages : une faible empreinte carbone et une demande énergétique trois à cinq fois inférieure à celle de l’électrolyse de l’eau ; en outre, le noir de carbone est un produit à forte valeur ajoutée.

• L’électrolyse de l’eau : l’hydrogène vert, rose

L’électrolyse de l’eau a pour but de décomposer les molécules d’eau grâce à un apport d’électricité : l’oxygène se dégage à l’anode et l’hydrogène à la cathode.5 C’est certainement la façon la plus « propre » de produire de l’hydrogène, c’est-à-dire sans empreinte carbone, d’où le nom d’hydrogène « décarboné » ou hydrogène vert, à condition évidemment que l’électricité employée provienne d’énergies renouvelables (photovoltaïque, éolienne, hydraulique…). Bien que les électrolyseurs actuels atteignent un rendement de 70 %, la forte dépense énergétique limite le développement à grande échelle de ce procédé.6

L’hydrogène rose est lui aussi produit par électrolyse. La seule différence par rapport à l’hydrogène vert réside dans la source d’électricité qui est d’origine nucléaire au lieu d’être renouvelable.

• À partir du charbon et de la lignine : l’hydrogène noir, brun

L’hydrogène noir est produit à partir de charbon bitumineux et l’hydrogène brun à partir de lignine. Charbon ou lignine sont gazéifiés, c’est-à-dire convertis en gaz de synthèse (appelé syngas) par un traitement thermique sous pression à haute température (> 700 °C). Ce gaz contient un mélange d’hydrogène, de monoxyde de carbone (CO), de CO2 et de vapeur d’eau. On sépare ensuite l’hydrogène des autres constituants. Ce procédé est le plus polluant de tous.

•À partir d’oxyde ferreux et d’eau dans le sous-sol : l’hydrogène blanc, orange

L’hydrogène présent sous sa forme moléculaire H2 dans le milieu géologique est dénommé hydrogène blanc.7,8 Il est généré en permanence par réaction de l’eau avec l’oxyde ferreux (FeO) à des températures comprises entre 200 et 400 °C. On estime à 20 mégatonnes par an la quantité d’hydrogène qui s’échappe du sol terrestre. Cette abondance incite à tirer profit de cette nouvelle ressource qualifiée de renouvelable. De nombreux réservoirs naturels ont été répertoriés dans le monde. Celui de Bourakébougou au Mali est exploité depuis 1987. Toutefois, la plupart des sites d’émission d’hydrogène dégagent d’autres gaz comme le méthane qui contribue à l’effet de serre. Il ne s’agit donc pas d’un hydrogène « zéro-carbone ».

L’émission naturelle d’hydrogène blanc a donné l’idée à des scientifiques d’injecter de l’eau dans le sous-sol à l’aide de pompes.9,10 L’hydrogène dégagé par réaction de cette eau avec FeO et capté en surface est dénommé hydrogène orange. Par exemple, les roches appelées péridotites, constituées de silicates de magnésium avec environ 10 % d’oxyde ferreux, peuvent théoriquement dégager 2 à 4 kg d’hydrogène par mètre cube de roche.

Autre intérêt du procédé : la séquestration géologique du CO2 est simultanément possible si l’eau injectée est saturée de ce gaz. Il se forme en effet des carbonates. La température optimale de cette formation est de 185 °C alors que celle de la production d’hydrogène est comprise entre 250 et 280 °C. Un compromis est donc à rechercher.

Le tableau ci-dessous récapitule les modes de production d’hydrogène en regard des fausses couleurs qui lui sont attribuées.

Comment interpréter le code couleur

Le choix d’une fausse couleur de l’hydrogène va de lui-même dans certains cas. Par exemple, il vient naturellement à l’esprit de parler d’hydrogène vert quand il est produit à partir de sources d’énergie renouvelables. Le vert est en effet la couleur « écolo » car spontanément associé à la nature : c’est la couleur la plus répandue sur le sol terrestre. Aussi parle-t-on de chimie verte pour désigner les processus et les réactions peu ou pas néfastes pour l’environnement.

De même, il est naturel de qualifier de noir l’hydrogène issu du charbon et de brun celui provenant de la lignine en référence aux couleurs de ces deux solides. Le noir a en outre une connotation négative. À l’opposé, le blanc symbolisant la pureté, la virginité, la propreté… convient bien à l’hydrogène à l’état naturel.

Quant à l’hydrogène orange, il est naturellement associé à la couleur de la rouille : il implique en effet l’oxydation du fer(II) en fer(III) lors de la réaction de l’eau avec FeO qui conduit à un mélange complexe d’oxydes et d’hydroxydes de fer(III) constitutifs la rouille.

Moins évidentes sont les autres couleurs. Commençons par l’hydrogène gris. On ne peut justifier cette couleur que si l’on a au préalable qualifié de blanc l’hydrogène à l’état naturel. En effet,puisque la couleur grise est intermédiaire entre le noir et le blanc sur l’échelle de la clarté, on comprend que l’hydrogène gris doit sa couleur à une production intermédiaire de CO2 (par kg d’hydrogène) : très élevée pour l’hydrogène noir et nulle pour l’hydrogène blanc.

Il est plus difficile de justifier l’hydrogène bleu. Il se distingue en effet de l’hydrogène gris par le fait que le procédé met en œuvre un dispositif de captage et de stockage du CO2 émis. Certes l’empreinte carbone est inférieure, mais de là à le qualifier de bleu ! Rien à voir avec l’énergie bleue qui, elle, est naturellement associée à l’eau (dont la couleur est bleue) : il s’agit d’une énergie osmotique mettant à profit la différence de salinité entre deux eaux plus ou moins salées. Dans cette lignée, il aurait été plus logique de qualifier de bleu l’hydrogène produit à partir de l’eau, mais la couleur verte, à forte connotation écologique, a été préférée.

Et l’hydrogène turquoise ? Cette couleur est intermédiaire entre le bleu et le vert : de fait, l’hydrogène turquoise, produit par pyrolyse du méthane à haute température, a une empreinte carbone inférieure à celle de l’hydrogène bleu et évidemment supérieure à celle de l’hydrogène vert qui est décarboné.

Enfin, l’hydrogène rose : on s’interroge sur sa couleur car il ne diffère de l’hydrogène vert que par l’origine de l’électricité (énergie nucléaire) qui sert à l’électrolyse de l’eau. Difficile de trouver une justification dans la symbolique du rose !

Un classement par catégories remplace les couleurs

Toutes ces qualifications de l’hydrogène par des couleurs, qu’elles soient évidentes ou non, laissent une impression de flou « artistique ». Les jeux de couleurs dans les titres de certains articles en sont l’illustration : « How green is blue hydrogen? »3, « Orange hydrogen is the new green »10… Une catégorisation plus claire s’imposait donc : c’est l’objet de l’ordonnance du 17 février 2021 émise par le Ministère de la transition écologique, qui classe désormais l’hydrogène en trois catégories 11 :

 « L’hydrogène renouvelable est l’hydrogène produit soit par électrolyse en utilisant de l’électricité issue de sources d’énergies renouvelables […], soit par toute une autre technologie utilisant exclusivement une ou plusieurs de ces mêmes sources d’énergies renouvelables et n’entrant pas en conflit avec d’autres usages permettant leur valorisation directe. Dans tous les cas, son procédé de production émet, par kilogramme d’hydrogène produit, une quantité d’équivalents dioxyde de carbone inférieure ou égale à un seuil.

« L’hydrogène bas-carbone est l’hydrogène dont le procédé de production engendre des émissions inférieures ou égales au seuil retenu pour la qualification d’hydrogène renouvelable, sans pouvoir, pour autant, recevoir cette dernière qualification, faute d’en remplir les autres critères.

« L’hydrogène carboné est l’hydrogène qui n’est ni renouvelable, ni bas-carbone.

« L’hydrogène coproduit lors d’un procédé industriel dont la fonction n’est pas d’obtenir cet hydrogène et autoconsommé […] au sein du même processus n’est pas considéré comme de l’hydrogène bas-carbone au sens du présent code. Il n’est pas comptabilisé au titre de l’objectif de décarbonation. »

Une telle classification est certes moins imagée que celle fondée sur un code de couleurs mais sûrement plus rationnelle !

Références et notes

1 J.-P. Foulon, H. Toulhoat, E. Freund, La production d’hydrogène décarbonée et compétitive : un défi technologique à relever, L’Actualité Chimique, n° 466, octobre 2021, p. 11, https://new.societechimiquedefrance.fr/numero/la-production-dhydrogene-decarbonee-et-competitive-un-defi-technologique-a-relever-p11-n466/

2 Le reformage à l’eau du méthane a lieu à haute température (840 à 950 °C), sous une pression modérée (20 à 30 bars) selon les réactions suivantes :

CH4 + H2O → CO + 3 H2     suivie de    CO + H2O → CO2 + H2

3 R.W Howarth, M.Z. Jacobson, How green is blue hydrogen?, Energy Sci. Eng., vol.9, pp. 1676-1687, 2021. https://doi.org/10.1002/ese3.956.

4 L. Fulcheri, La pyrolyse du méthane. De l’hydrogène « gris » à l’hydrogène « turquoise », L’Actualité Chimique, n° 466, octobre 2021, pp. 28-34, https://new.societechimiquedefrance.fr/numero/la-pyrolyse-du-methane-de-lhydrogene-gris-a-lhydrogene-turquoise-p28-n466/

Fulcheri, Production d’hydrogène « turquoise » par pyrolyse du méthane, Annales des Mines – Réalités industrielles, 2022 (4), pp. 125 à 135, https://www.cairn.info/revue-realites-industrielles-2022-4-page-125.htm

5 J. Mougin, Production d’hydrogène par électrolyse de la vapeur d’eau à haute température, L’Actualité Chimique, n° 466, octobre 2021, pp. 12-19, https://new.societechimiquedefrance.fr/numero/production-dhydrogene-par-electrolyse-de-la-vapeur-deau-a-haute-temperature-p12-n466/

6 La réaction de dissociation de l’eau requiert une énergie importante : 285 kJ par mole, ce qui correspond à environ 40 kWh/kgH2

7 V. Zgonik, L’hydrogène naturel, une nouvelle source d’énergie renouvelable, L’Actualité Chimique n° 466, octobre 2021) p. 35, https://new.societechimiquedefrance.fr/numero/lhydrogene-naturel-une-nouvelle-source-denergie-renouvelable-p35-n466/

8 A. Pinzhoher, É. Deville, De l’hydrogène naturel sous nos pieds, Pour la Science, n° 456, octobre 2015, pp. 38-43, https://www.pourlascience.fr/sd/geosciences/de-l-hydrogene-naturel-sous-nos-pieds-8679.php

9 S. Bailly, Le double intérêt de l’hydrogène « orange », Pour la Science, n° 544, février 2023, https://www.pourlascience.fr/sd/geosciences/energie-le-double-interet-de-l-hydrogene-orange-24546.php

10 F. Osselin et al., Orange hydrogen is the new green, Nat. Geosci., vol.15, pp. 765–769, 2022, https://doi.org/10.1038/s41561-022-01043-9

11 Ordonnance n° 2021-167 du 17 février 2021 relative à l’hydrogène : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043148001/

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