Une idée fausse, néanmoins très répandue auprès du grand public, et même chez certains neuroscientifiques, est que notre vision périphérique des couleurs serait réduite, voire inexistante. Par exemple, dans l’article (en version anglaise) de Wikipedia  consacré à la vision périphérique, il est écrit : « Peripheral vision is weak in humans, especially at distinguishing colour and shape… ». Pourtant, dès que nous ouvrons les yeux, nous avons la sensation d’être immergé dans un monde coloré jusqu’aux limites extrêmes de notre vision périphérique. Certains émettent alors l’hypothèse que le cerveau complète les informations manquantes sur les couleurs. Qu’en est-il exactement ? Pour y voir plus clair, il faut d’abord examiner la distribution des photorécepteurs sur la rétine.

Cônes et bâtonnets : zoom sur leurs distributions respectives

Les cônes, photorécepteurs responsables de la vision des couleurs (à des intensités lumineuses assez élevées), sont essentiellement concentrés dans la petite zone centrale de la rétine, appelée fovéa. Au-delà de cette zone, leur densité décroît très vite tandis que celle des bâtonnets, absents de la fovéa, augmente (Fig. 1). Ces derniers, qui recouvrent presque toute la rétine (sauf dans la fovéa), sont très sensibles à la lumière mais ne conduisent pas à des sensations colorées. Leur rôle est d’assurer une bonne vision dans la pénombre (où les cônes sont inopérants) en transmettant les informations au cerveau lui permettant de produire une image en niveaux de gris et non en couleurs.1

Fig. 1. Densité de cônes et de bâtonnets le long d’un méridien horizontal en fonction de l’excentricité (angle visuel par rapport au centre de la fovéa). Le point aveugle correspond au nerf optique.

Un test probant

Les bâtonnets sont très largement prédominants au-delà d’un angle visuel de 10° environ par rapport au centre de la fovéa. D’où la croyance d’une faible vision périphérique des couleurs. Toutefois, en dehors de la fovéa, la densité de cônes est non négligeable, environ 4000 cônes par millimètre carré,2 ce qui est suffisant pour percevoir des couleurs jusqu’à la périphérie du champ visuel. Un test simple montre même que cette perception est aussi bonne que via la fovéa lorsque la taille des objets est proportionnelle à l’excentricité (Fig. 2).3 En effet, des zones équivalentes sont alors stimulées dans le cortex visuel. En revanche, si la taille des objets est constante, la sensibilité aux couleurs diminue lorsque l’angle visuel augmente.

Fig. 2. Ce test consiste à fixer le regard sur le point noir central à une distance suffisamment courte pour que les disques les plus excentrés soient vus en vision périphérique. Les couleurs de ces derniers sont bien perçues car la taille des disques est ici proportionnelle à l’excentricité. Image extraite de l’article cité dans la référence 3. Creative Commons (CC BY 3.0)

Quand le test de la figure 2 est effectué pour la première fois, le cerveau n’a acquis préalablement aucune information sur les couleurs des tâches latérales. En conséquence, contrairement à ce que certains affirment,4 il n’est pas nécessaire d’invoquer que le cerveau, grâce à son expérience passée (par exemple, un arbre est en général vert), pallie une éventuelle absence de sensation colorée.

Références et notes

1B. Valeur, Pourquoi la perception des couleurs n’est-elle pas parfaitement identique pour chacun de nous ? 

2R. Rosenholtz, « Capabilities and limitations of peripheral vision », Annual Review of Vision Science, vol. 2, pp. 437–457, 2016.

3C. W. Tyler, « Peripheral color demo », i-Perception, vol. 6(6), pp. 1–5, 2015. DOI: 10.1177/2041669515613671

4B. Balas, P. Sinha, « “Filling-in” colour in natural scenes », Visual Cognition, vol. 15, pp.765–778, 2007. Article consultable ici.