Que de sottises peut-on lire sur le magenta : « le magenta n’est pas une couleur », « le magenta n’existe pas », etc.  Avec à l’appui des arguments du type « aucune longueur d’onde du spectre visible ne correspond au magenta », ou « lorsqu’on décompose la lumière, avec un prisme par exemple, il n’y a pas de magenta » ! De telles assertions prouvent une fois de plus à quel point le concept de couleur échappe à la compréhension ! Un retour aux fondamentaux est nécessaire, mais voyons d’abord d’où vient le nom de magenta.

Un peu d’histoire

Au XVIIIe siècle, dans le cadre des recherches visant à produire des colorants à base d’aniline, le chimiste Français François-Emmanuel Verguin fabriqua en 1858 une substance rouge pourpre foncé qu’il baptisa fuchsine. Il vendit le brevet l’année suivante aux frères Renard qui la commercialisèrent sous le nom de magenta, rappelant ainsi la bataille éponyme qui s’était déroulée la même année en Italie, dans la région de Milan. Les troupes de Napoléon III combattaient celles de l’Autriche qui s’étaient retranchées dans la ville de Magenta en attendant leurs ennemis. Ce fut un bain de sang tel que le champ de bataille apparaissait de loin d’une couleur pourpre, selon certains observateurs. D’où le nom de magenta que les frères Renard attribuèrent à leur matière colorante.

Qu’est-ce que la couleur ? [1]

Rappelons qu’une couleur n’existe qu’à partir de l’instant où nos yeux s’ouvrent et laissent y pénétrer de la lumière. Il n’y a en effet pas de couleurs sans lumière, ni sans neurones : le cerveau construit grâce aux neurones du cortex visuel une image mentale en couleurs à partir des signaux électriques qu’il reçoit des neurones rétiniens via le nerf optique. C’est pourquoi les couleurs n’ont pas d’existence matérielle, mais elles existent dans notre cerveau en tant que sensations que ce dernier nous procure. Elles n’existent pas non plus sans matière, car les couleurs résultent de diverses interactions des ondes lumineuses avec la matière, et parfois celle-ci se fait source de lumières colorées.

Il faut donc toujours garder à l’esprit que toutes les couleurs naissent dans notre cerveau, qu’elles soient pures (voir section suivante) ou non !

Les couleurs pures et les autres…

La lumière blanche venant du Soleil passant à travers un prisme (ou un simple morceau de verre) est décomposée en rayons lumineux de différentes couleurs. On observe alors un spectre constitué d’une suite continue d’un très grand nombre de couleurs (et non pas seulement 7 !), allant du violet au rouge. Une fente très fine disposée après le prisme permet de sélectionner un rayon d’une couleur dite spectrale ou pure, c’est-à-dire correspondant à une bande très étroite de longueurs d’onde (lumière monochromatique).

Le magenta ne figure effectivement pas dans le spectre de la lumière blanche. Cette couleur est la sensation résultant de la superposition sur notre rétine de longueurs d’onde correspondant aux domaines du rouge et du bleu. D’une façon générale les couleurs provenant d’un mélange de bleu et de rouge sont appelés pourpres. Le magenta en fait partie : il s’agit plus précisément d’un pourpre vif, tirant davantage sur le rouge que sur le bleu.

Les pourpres ne sont évidemment pas des couleurs pures, mais il en est ainsi pour toutes les couleurs du monde qui nous entoure (sauf exception, comme les faisceaux laser). En particulier, le vert de la végétation résulte de la superposition sur la rétine d’une lumière constituée d’un domaine assez large de longueurs d’onde autour de 550 nm où les constituants de végétaux (chlorophylles, caroténoïdes, etc.) absorbent peu. Cette lumière est renvoyée vers notre œil et le cerveau nous procure une sensation de vert avec diverses nuances qui, selon les végétaux, tirent vers le jaune ou le bleu.

Le magenta n’est pas moins une couleur que le vert des végétaux, l’orange de la carotte ou le bleu du ciel ! À ceux qui feraient remarquer que le magenta n’est pas une couleur naturelle mais fabriquée, on répondra que les fleurs desfuchsias ou certaines variétés de primevères (figure 2) sont de cette couleur (figure 2). D’ailleurs, l’appellation fuchsia désigne des couleurs analogues au magenta. Dans le monde minéral, certains rubis (figure 2) ou grenats offrent d’autres exemples.

Fig. 1. Trois exemples de couleurs magenta naturelles : primevères, fleurs de fuchsia et rubis. Crédits (de gauche à droite) : B. Valeur – E. Levy Finch / Wikimedia Commons – Tim Evanson / Wikimedia Commons

Évidemment, il n’y a pas une unique couleur pourpre, de même qu’il n’y pas une unique couleur bleue, verte, rouge, jaune, etc. Toutes ces noms génériques de couleurs se déclinent en une multitude de nuances qu’il est possible de caractériser dans des espaces colorimétriques. Par exemple, la figure 2 montre le domaine des pourpres dans le diagramme de chromaticité C.I.E. 1931.

Fig. 2. Diagramme de chromaticité C.I.E. 1931. Le spectrum locus est le lieu des couleurs spectrales repérées par leur longueur d’onde exprimée en nanomètres. Plus le point représentatif en est proche, plus la couleur est pure. Les mélanges de bleu spectral à 455 nm et de rouge spectral à 630 nm en proportions variables sont représentés sur la ligne des pourpres. Les points situés sur le périmètre du diagramme correspondent à des couleurs dites saturées. Toute couleur, saturées ou non, est définie par les coordonnées (x, y). Pour plus de détails, voir réf. [1b]. © Bernard Valeur

Le magenta, couleur primaire ou complémentaire

Le magenta est l’une des trois couleurs primaires de la synthèse soustractive des couleurs réalisée pour l’imprimerie (figure 3) [1,2]. Chacun sait que le magenta est la couleur de l’une des cartouches d’imprimante. Ce nom est normalisé : la norme ISO 2846 fixe le spectre d’absorption et la transparence des encres dans le but d’assurer une reproduction uniforme en quadrichromie [3]. Elle définit ainsi avec précision le magenta en tant que couleur primaire.

Il faut rappeler également que le magenta est la couleur complémentaire du vert dans la synthèse additive des couleurs mise en œuvre dans les écrans (figure 3).

Fig. 3. La place du magenta dans les synthèses soustractive et additive des couleurs. Dans ces deux schémas, les couleurs primaires (P) et leurs complémentaires (C) apparaissent diamétralement opposées © B. Valeur

Références et notes

[1] B. Valeur, (a) La couleur dans tous ses éclats, Belin, 2011 – (b) Lumière et luminescence. Ces phénomènes lumineux qui nous entourent, Belin, 2017 (2e éd.) – (c) Une belle histoire de la lumière et des couleurs, Flammarion, 2016.

[2] B. Valeur, Quand naissent les couleurs, la règle de trois s’impose , Blog Questions de couleurs

[3] L’encre magenta commercialisée pour l’imprimerie est à base de lithol rubine BK, un colorant rouge azoïque (Colour index PR57:1), de naphtol (PR146) ou surtout de quinacridones dont les couleurs vont du rouge-orange au rouge-violet.