Le premier article de cette série était dédié à la définition d’une vraie couleur et au classement des fausses couleurs.1 Pour illustrer la diversité des images en fausses couleurs d’un même objet céleste, examinons maintenant la plus grande planète du système solaire, Jupiter (Fig. 1). Sondes spatiales, télescopes terrestres et spatiaux examinent depuis longtemps cette fascinante géante gazeuse sous toutes les coutures pour comprendre ce monde complexe, gigantesque et turbulent, avec des cyclones polaires de la taille de la Terre, des systèmes de tempêtes plongeantes qui se déplacent en profondeur dans le cœur de la planète. Depuis les premiers clichés de la sonde Voyager 1 (qui a fêté ses 45 ans) jusqu’à ceux du télescope spatial James Webb, les images en vraies et fausses couleurs abondent. Le présent article vise essentiellement à expliquer le pourquoi et le comment du choix des fausses couleurs.

Fig. 1. Images de Jupiter en vraies couleurs (les deux situées en haut à gauche) et fausses couleurs. Ces images apparaîtront dans les autres figures de ce texte. Les sources et les crédits sont indiqués en légende de ces dernières.

Jupiter en vraies couleurs et en couleurs rehaussées

Le premier type de traitement des clichés pris dans le domaine visible a pour objectif d’obtenir une image en vraies couleurs. La figure 2 illustre le principe de la reconstruction d’une image de Jupiter par synthèse additive des couleurs telle qu’elle a été décrite dans le premier article de cette série.1

Fig. 2. Reconstruction d’une image en vraies couleurs de Jupiter à partir de trois clichés pris par le télescope Hubble à travers trois filtres rouge-vert-bleu. Illustration réalisée à partir de captures d’écran de la vidéo “How scientists colorize photos of space”, Vox : https://www.youtube.com/watch?v=WSG0MnmUsEY 

L’atmosphère de Jupiter est essentiellement constituée de dihydrogène (90 %) et d’hélium (10 %), les autres constituants étant en faible quantité : méthane, ammoniac, sulfure d’hydrogène et vapeur d’eau. L’image en vraies couleurs de Jupiter révèle de gigantesques nuages dont les couleurs dépendent de l’altitude, de la composition chimique et des interactions avec la lumière du Soleil (réactions photochimiques induites par le rayonnement ultraviolet).2

Les images en vraies couleurs présentées sur la figure 3 ont été obtenues par divers instruments. Elles sont semblables à des nuances près en raison des réglages du contraste et de la saturation ainsi que du choix des filtres (en particulier rouge-vert-bleu pour Hubble et orange-vert-violet pour Voyager 1) 3. En ce qui concerne la sonde Juno, la NASA précise que les couleurs de l’image ont été rehaussées. Il en est vraisemblablement de même pour celles de l’image issue de Hubble. C’est sans doute l’image obtenue via la sonde Voyager 1 qui offre les couleurs les plus proches de la réalité.4

Fig. 3. Trois images en vraies couleurs de Jupiter reconstruites à partir des clichés pris par la sonde Voyager 1 en 1979, la sonde Juno en 2019 et le télescope Hubble en 2020. Crédits : NASA/JPL. Sources : https://www.planetary.org/space-images/vger-40-jupiter-blog-figure-a  https://www.jpl.nasa.gov/images/pia22946-jupiter-marble https://hubblesite.org/contents/media/images/2020/42/4739-Image

Le rehaussement des couleurs est parfois volontairement exagéré (fausses couleurs de type A)4 afin de révéler certains détails. La figure 4 montre deux images du pôle sud de Jupiter, l’une en vraies couleurs et l’autre en couleurs rehaussées, principalement les bleus, pour faire apparaître les détails des vortex des cyclones dont la taille atteint 1000 km !

Fig. 4. Images du pôle sud de Jupiter. À gauche : image en vraies couleurs prise par la sonde Cassini. À droite : image en couleurs rehaussées obtenue via la sonde Juno. Crédits : NASA/JPL/Space Science Institute et NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS/Betsy Asher Hall/Gervasio Robles https://www.jpl.nasa.gov/images/pia07784-cassinis-best-maps-of-jupiter-south-polar-map https://www.nasa.gov/image-feature/jupiters-south-pole

Pour obtenir davantage d’information sur cette planète complexe, il faut visualiser les radiations des domaines de l’infrarouge et de l’ultraviolet. Lorsque plusieurs longueurs d’onde de ces domaines sont explorées, on leur attribue des fausses couleurs dans l’ordre chromatique normal, c’est-à-dire du bleu au rouge pour des longueurs d’onde de plus en plus grandes. En outre, si l’image est acquise à une seule longueur d’onde, la variation des fausses couleurs reflète l’intensité du rayonnement.

Jupiter en fausses couleurs

Images du télescope terrestre Gemini North

Le télescope Gemini North, situé à Mauna Kea (Hawaï), a produit des images de Jupiter dans le proche infrarouge (longueur d’onde : 4,7 μm) avec une résolution exceptionnelle pour une observation depuis le sol (Fig. 5).6 Les fausses couleurs (type D)5 allant du rouge sombre au jaune clair reflètent l’intensité du rayonnement infrarouge détecté. L’apparence de lanterne-citrouille d’Halloween est due aux différentes couches de nuages de la planète. En effet, le rayonnement infrarouge émis par Jupiter est peu absorbé par les nuages ce qui permet de voir les couches plus profondes et plus chaudes de l’atmosphère de Jupiter, tandis que les nuages les plus épais apparaissent sombres. De telles images, associées à celles des télescopes spatiaux Hubble et James Webb, et de la sonde Juno, apportent beaucoup d’information sur les conditions météorologiques de la géante gazeuse, notamment sur l’endroit où se forment les gigantesques tempêtes.

Fig. 5. Image de Jupiter obtenue en infrarouge (4,7 μm) par le télescope de l’observatoire Gemini North en 2019. Elle a été réalisée en combinant les images de neuf pointages par la méthode dénommée Lucky Imaging. Crédit : International Gemini Observatory/NOIRLab/NSF/AURA M.H. Wong (UC Berkeley). Source :gemini.edu https://www.gemini.edu/pr/gemini-gets-lucky-and-takes-deep-dive-jupiter-s-clouds

Images du télescope spatial Hubble

Les détecteurs du télescope spatial Hubble permettent des observations non seulement dans le visible mais aussi dans l’UV et le proche infrarouge. L’image de la figure 6 (à droite) est en fausses couleurs. Sur les trois domaines de longueurs d’onde des filtres à travers lesquels les clichés ont été pris, un seul est dans le visible (vert). Les deux autres se situent dans le proche infrarouge et l’UV, et les couleurs rouge et bleue leur ont été assignées respectivement (fausses couleurs du type B) 5. Les zones bleues traduisent la réflexion du rayonnement ultraviolet par l’atmosphère de la planète, tandis que les zones rouges sont liées à l’absorption de ces rayonnements par des particules atmosphériques à plus haute altitude.

Fig. 6. Images de Jupiter obtenues via le télescope Hubble le 25 août 2020. Images en vraies couleurs (à gauche) et en fausses couleurs (à droite). Cette dernière a été reconstruite à partir de clichés pris à travers trois filtres centrés sur 889 nm (infrarouge), 547 nm (visible) et 275 nm (UV). Les couleurs de l’image résultent de la superposition des couleurs rouge, vert et bleu attribuées respectivement à ces trois clichés. Crédit : NASA, ESA, A. Simon, M. H. Wong.Source : NASA-Hubblesite  https://hubblesite.org/contents/media/images/2020/42/4740-Image

Images du télescope spatial James Webb

Plus récemment, le télescope James Webb a apporté sa propre contribution. Les images reconstruites à partir des clichés que ses caméras ont pris sont exclusivement en fausses couleurs puisque ce télescope est conçu pour explorer le domaine de l’infrarouge (fausses couleurs de type B) 5. Il possède deux caméras équipées de nombreux filtres.7

La figure 7 donne deux exemples d’images de Jupiter reconstruites à partir de clichés pris à travers deux ou trois filtres auxquels on assigne des couleurs. Dans la figure 7A, le filtre rouge révèle les aurores polaires ainsi que la lumière réfléchie par les nuages inférieurs et les brumes supérieures ; le filtre jaune-vert montre les brumes tourbillonnant autour des pôles nord et sud ; le filtre cyan met en évidence la lumière réfléchie par les nuages à plus basse altitude. La fameuse grande tache rouge (Great Red Spot) apparaît en blanc sur les deux images 7A et 7B car elle réfléchit efficacement la lumière du Soleil. De même, les nombreuses taches et traînées blanches sont probablement des sommets de nuages à très haute altitude. En revanche, les rubans sombres au nord de la région équatoriale sont peu couverts de nuages.

Fig. 7. Image reconstruite de Jupiter à partir des signaux envoyés par la caméra NIRCam du télescope James Webb. A : reconstruction à partir de clichés pris à travers trois filtres (respectivement F360M (rouge), F212N (jaune-vert) et F150W2(cyan))7. B: reconstruction à partir de clichés pris à travers deux filtres (respectivement F212N (orange) and F335M (cyan))7. Crédit : NASA, ESA, CSA, Jupiter ERS Team ; Traitement d’image : Judy Schmidt, Ricardo Hueso. Source : NASA https://blogs.nasa.gov/webb/2022/08/22/webbs-jupiter-images-showcase-auroras-hazes/

Jupiter en fausses couleurs extrêmes

On peut jouer à l’infini avec les fausses couleurs. L’image du pôle sud de Jupiter présentée sur la figure 8 est spectaculaire : elle a été obtenue à partir des données envoyées par l’imageur JunoCam de la sonde Juno.8 Le traitement d’image fait apparaître les cyclones comme des tourbillons de couleurs psychédéliques (fausses couleurs de type D)5. L’objectif est de visualiser la dynamique des nuages de Jupiter. Outre l’aspect esthétique très accrocheur, ce type d’image complète les simulations informatiques et aide les chercheurs à affiner leur compréhension de l’évolution des tempêtes dans l’espace et le temps.

Fig. 8. Image du pôle nord de Jupiter en fausses couleurs extrêmes. Il s’agit d’une image composite de quatre images obtenues à partir des données envoyées par l’imageur JunoCam de la sonde Juno lors de ses quatre passages à proximité de Jupiter en 2020. Crédit : NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS. Source : NASA https://www.nasa.gov/image-feature/cyclones-of-color-at-jupiter-s-north-pole

Mettre ainsi en évidence les tempêtes sur Jupiter à l’aide de fausses couleurs extrêmes relève autant de la science que de l’art. Et l’on peut aller encore plus loin, comme le montre l’artiste Mik Petter qui a créé une œuvre d’art numérique unique à partir des données de l’imageur JunoCam de la sonde Juno (Fig. 9). Les zones atmosphériques tumultueuses à l’intérieur et autour de la Grande Tache Rouge sont mises en évidence par l’utilisation de fractales colorées par l’artiste.8

Cette œuvre d’art numérique illustre à merveille que « la couleur est le plus beau trait d’union entre la science et l’art » (B. Valeur).

Fig. 9. Œuvre d’art numérique réalisée par l’artiste Mik Petter à partir des données de l’imageur JunoCam de la sonde Juno. Des fractales colorées visualisent les zones turbulentes dans la Grande Tache Rouge et autour d’elle. Crédit : NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS/Mik Petter. Source : missionjuno.swri.edu etnasa.gov https://www.missionjuno.swri.edu/junocam/processing?id=1584 https://www.nasa.gov/image-feature/jpl/pia21777/jupiter-fractal-art

Remerciements à Thomas Appéré pour la relecture de cet article.

Références et notes

1 Billet du 17.09.2022 : “Les images de l’espace : en vraies ou fausses couleurs ? 1. Comment définir une vraie couleur et classer les fausses couleurs ?”

2 Atmosphère de Jupiter – Wikipedia

3 Le choix des couleurs primaires pour la synthèse des couleurs n’est pas unique. Une condition doit être respectée : chaque couleur primaire doit être choisie de telle sorte qu’elle ne puisse pas être obtenue par combinaison des deux autres.

4 Voir les traitements d’images par Björn Jónsson (https://bjj.mmedia.is) – A Voyager 1 map of Jupiter (https://bjj.mmedia.is/data/jupiter_vgr1/index.html ) – Jupiter rotation movie (https://vimeo.com/738819560?embedded=true&source=vimeo_logo&owner=10633785)

5 Un classement des fausses couleurs a été proposé dans le billet précédent (réf. 1) :

  • Type A. Les couleurs « vraies » sont rehaussées en jouant par exemple sur la saturation et le contraste de façon à faire ressortir les détails.
  • Type B. Des couleurs sont attribuées arbitrairement à des domaines de longueur d’onde auxquels l’œil humain est insensible : l’infrarouge, l’ultraviolet, les rayons X…
  • Type C. On remplace la couleur que perçoit un observateur humain par une autre couleur choisie arbitrairement.
  • Type D. Des couleurs sont affectées aux divers niveaux de gris dans une image en noir et blanc dans le but de la rendre plus lisible et/ou de révéler certains détails.

6 “Gemini gets lucky and takes a deep dive into Jupiter’s clouds”. Article du Gemini observatory (2020), Gemini.edu

7 Domaines de transmission des filtres de la caméra NIRCam du télescope JWST. Source : Webb Space Telescope

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